Un photojournaliste suisse témoigne
«Les soldats ukrainiens sont plus motivés que jamais»

Un photojournaliste suisse s'est rendu sur le front de Bakhmout. Alex Kühni raconte ce combat qui suivrait de nouvelles règles et la contre-offensive qui s'annonce. Récit.
Publié: 02.05.2023 à 06:10 heures
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Dernière mise à jour: 02.05.2023 à 08:57 heures
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Lors de son voyage dans le Donbass, le photographe bernois Alex Kühni rencontre les restes squelettiques d'un équipage de char russe tué en septembre 2022.
Photo: ALEX KUEHNI www.alexkuehni.com
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Samuel Schumacher

«Heureusement qu'il y avait du brouillard ce jour-là. Sinon, les Russes auraient pu me prendre pour cible lors de ma course en zigzag à travers un champ bombardé du côté ukrainien de Bakhmout», raconte le photojournaliste suisse Alex Kühni. «Avant de t'élancer, tu te fais mille réflexions sur ta sécurité, glisse le Bernois. Mais ensuite, d'une fois que tu es sur le front, tu jettes toutes tes peurs par-dessus bord.»

Les champs de bataille comme bureau

Nous rencontrons ce Bernois dans un café de sa ville. Il est de passage en Suisse. Son lieu de travail? Le front ukrainien. Il passe ses soirées à préparer son sac à dos photo, met son casque et ses lunettes de protection tous les matins, enfile son gilet pare-balles et se rend littéralement sur les champs de bataille.

Il a commencé à exercer son métier de reporter de guerre il y a douze ans. Durant cette dizaine d'années, il a photographié la guerre en Irak, vécu de près la terreur de l'État islamique (EI) en Syrie et suivi le déroulement de la guerre civile aux Philippines.

Mais cette fois-ci, c'est différent. «L'Ukraine ne ressemble à aucune de ces autres guerres», avance Alex Kühni. Il y a deux jours, le Bernois est revenu du Donbass. Il poursuit: «En Irak et en Syrie, nous savions que les mortiers des terroristes pouvaient parcourir trois kilomètres au maximum. Nous pouvions donc nous retirer et manger tranquillement une pizza à une distance sûre.»

Or, en Ukraine, on ne serait en sécurité nulle part: les missiles à longue portée et les obus d'artillerie pourraient atteindre n'importe quel point. À tout moment.

Depuis douze ans, le photographe bernois Alex Kühni se rend régulièrement dans des zones de guerre. «Être là où l'histoire s'écrit est un privilège», assure-t-il.
Photo: PHILIPP SCHMIDLI | Fotografie

«Les politiciens suisses devraient se rendre dans le Donbass»

Trop souvent, ces missiles et obus touchent des immeubles d'habitation. Comme il y a quelques jours dans la ville de Sloviansk, dans le Donbass. Quatorze personnes ont alors perdu la vie, dont un enfant de 3 ans. Alex Kühni était présent: «La grand-mère de ce petit garçon revenait encore des jours après l'attaque près de la maison bombardée, anéantie par la perte de son petit-fils.»

L'Ukraine n'a pas assez d'armes pour se protéger de la terreur des missiles. Les chars allemands Gepard, par exemple, seraient pourtant idéaux pour faire tomber les missiles du ciel. «Le fait que la Suisse interdise à l'Allemagne de livrer à l'Ukraine des munitions Gepard produites dans le pays est un énorme sujet de discussion sur le front», glisse-t-il.

À plusieurs reprises, des officiers l'auraient interpellé à ce sujet: «Ils ne peuvent pas comprendre l'attitude de refus de la Suisse.» Peut-être que les politiciens suisses devraient se rendre une fois dans le Donbass pour comprendre les souffrances brutales que les Russes y provoquent, tonne-t-il.

Les Ukrainiens placent de grands espoirs dans une contre-offensive dont on parle beaucoup. Mais il est difficile de savoir quand et où elle arrivera, même sur place, raconte le Bernois. «Sur l'axe de circulation entre les villes de Dnipro et Kramatorsk, j'ai vu plus de véhicules militaires qu'entre Kiev et Kharkiv au nord», décrit-il. Il soulève donc une hypothèse: «Si je devais vraiment fournir une réponse, je parierais sur une attaque ukrainienne au sud-est.» Et se risque à quelques théories.

Aucune trace de lassitude face à la guerre

Il est clair pour tout le monde dans la zone de guerre que l'imbroglio de l'automne dernier ne fonctionnera pas une deuxième fois. L'Ukraine avait alors spéculé à haute voix et en détail sur la libération de la ville de Kherson sur la mer Noire, pour ensuite libérer d'immenses territoires autour de Kharkiv, bien plus au nord.

Cet ancien officier de l'armée suisse fait défiler une carte du Donbass sur son téléphone portable. Il connaît chaque colline, chaque creux de vallée, chaque village dans les zones contestées. «Je parie sur une attaque sur plusieurs fronts entre le nord du Donbass et le sud de la ville de Zaporijjia, explique le reporter en montrant la région du doigt sur son appareil. Au bout d'une semaine peut-être, l'Ukraine décidera quelle direction est la plus prometteuse, et elle y misera alors à fond.»

Une victoire de l'Ukraine est-elle encore possible? En tout cas, Alex Kühni y croit: «Je me suis rendu quatre fois dans le pays depuis le début de la guerre. Les soldats n'ont jamais été aussi motivés que maintenant.» Il y a un an, il y avait beaucoup d'incertitude chez eux, a-t-il ajouté: «Ils ne savaient pas s'ils pourraient résister à la supériorité russe. Mais ils savent désormais qu'ils peuvent même les repousser.»

Une vidéo d'exécution change les règles du jeu

Un autre élément est entré en ligne de compte. La récente vidéo montrant la décapitation d'un prisonnier de guerre ukrainien par un combattant russe a déclenché quelque chose chez les soldats sur le front, assure Alex Kühni.

Autrefois, il existait quelques règles sur les champs de bataille. Si les soldats adverses touchaient un char et que l'équipage s'enfuyait, il était interdit de leur tirer dans le dos. «C'était une question d'honneur, m'a assuré un commandant», rapporte le photojournaliste. Mais aujourd'hui, ce ne serait plus le cas.

Alex Kühni restera en Suisse ces prochaines semaines. Il enseignera à l'école de design de Berne. Mais au fond de lui, les champs de bataille du Donbass l'appellent déjà, confesse-t-il. «C'est là que l'histoire s'écrit», glisse-t-il. Ce qui restera certainement vrai pour un bon bout de temps encore.

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