Rien n'est impossible. La tâche qui attend Juan Merchan s'en rapproche pourtant fortement. A partir de lundi prochain, le juge new-yorkais devra trouver 18 personnes résidant à Manhattan qui n'ont pas d'opinion sur Donald Trump, l'homme qui polarise comme aucun autre sur terre. Douze d'entre eux devront décider du sort de l'ex-président en tant que jurés dans le cadre du procès de Trump sur l'argent du silence, six seront assis sur le banc des remplaçants du jury.
Depuis lundi, on sait comment le juge compte s'y prendre: avec un entretien de 42 questions auquel les quelque 500 jurés potentiels convoqués devront se soumettre. Blick a parcouru le questionnaire et a été très étonné.
Précisons d'emblée: le fait que des non-professionnels soient convoqués comme jurés à des procès et doivent y juger de la culpabilité ou de l'innocence des accusés est une pratique courante aux Etats-Unis. En Suisse aussi, de tels procès avec jury avaient lieu jusqu'en 2011.
Qu'en est-il des actrices pornographiques?
Aux Etats-Unis, le service de jury est un devoir civique, tout comme le paiement des impôts. Toute personne domiciliée dans le district où se trouve le tribunal concerné peut être convoquée. La condition est d'être citoyen américain, de ne pas avoir été condamné et d'être majeur. Et surtout de ne pas avoir d'opinion sur l'accusé.
Premier fait marquant, c'est ce que le juge Juan Merchan, un Colombien de naissance, ne veut pas savoir sur les jurés. Ils ne doivent révéler ni leur appartenance à un parti ni leur comportement électoral passé. Qu'une personne ait donc voté Trump ou soit un démocrate ne joue aucun rôle aux yeux du juge. L'équipe d'avocats de Trump a certes protesté violemment contre cette décision de peur que Trump n'ait à faire qu'à des électeurs de Biden au tribunal. Mais le juge Juan Merchan affirme que les 42 questions suffiront à éliminer les candidats partisans du jury.
Outre des informations fondamentales telles que la profession, la formation, l'état civil, l'état de santé et les engagements passés dans le jury, Juan Merchan veut également connaître des choses très privées. Ainsi, les jurés doivent révéler lors des entretiens le type de médias qu'ils consomment, s'ils ont lu les livres de Trump ou s'ils ont tendance à stéréotyper certains groupes. Ce dernier point fait clairement allusion à l'adversaire de Trump au tribunal, l'actrice porno Stormy Daniels.
Plus de temps avec Trump qu'avec Harvey Weinstein?
Bien entendu, Juan Merchan s'intéresse aussi à la position des jurés vis-à-vis de Trump. Ils doivent indiquer s'ils le suivent sur les réseaux sociaux, s'ils ont déjà assisté à l'un de ses rallyes, s'ils lisent ses newsletters, s'ils ont travaillé pour lui ou pour l'une de ses entreprises ou s'ils ont travaillé pour une organisation anti-Trump. La question sur les contacts passés avec la police paraît étrange: «Avez-vous déjà eu une rencontre avec la police ou la justice qui vous a conduit à avoir par la suite une vision négative ou positive de la police ou de la justice?»
En bref, le juge Juan Merchan recherche 18 personnes majeures de Manhattan qui n'ont pas eu d'opinion sur Trump, ni d'opinion sur les actrices pornographiques, ni d'expérience positive ou négative avec la police. Cela risque d'être difficile. Dans le cas du prédateur sexuel et ex-producteur hollywoodien Harvey Weinstein, qui devait répondre de ses actes devant le même tribunal, la sélection du jury a duré deux semaines complètes.
Il est fort possible que le procès de Trump sur la dissimulation de paiements dure nettement plus longtemps. Enfin, les deux parties ont le droit d'interroger les jurés sélectionnés et d'opposer dix fois leur veto à l'impartialité proposée.
Une échappatoire juridique pour les meurtriers
En théorie, il serait également possible que le procès contre Trump échoue parce que le tribunal ne trouve jamais 18 personnes qui franchissent tous les obstacles pour être jurés. Le magazine américain «The Atlantic» s'est penché sur le cas d'un tribunal dans une région peu peuplée de l'Idaho, où il était impossible de trouver suffisamment de jurés qui ne connaissaient pas personnellement l'accusé dans un procès. Le magazine constate que dans ce district, on peut théoriquement même s'en tirer avec un meurtre, car on ne pourrait jamais bénéficier d'un procès équitable.
Manhattan n'est pas l'Idaho et Trump n'est pas un meurtrier. Mais la tâche reste gigantesquement difficile. Et le public captivé devra donc patienter encore longtemps avant que le premier procès criminel de l'histoire américaine contre un ex-président ne commence enfin.