Si quelqu’un à l’OMS connaît Wuhan et son laboratoire de haute sécurité, c’est bien lui. Le scientifique danois Peter Embarek a conduit la délégation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Wuhan en janvier dernier.
Six mois après cette enquête systématiquement entravée par la Chine, durant laquelle l’OMS entendait faire la lumière sur l’origine de la pandémie de Covid 19, l’enquêteur en chef remet en question la version officielle du rapport que son équipe a rendu en mars. L’OMS reste officiellement évasive quant à la théorie selon laquelle le virus pourrait provenir du laboratoire de Wuhan. Mais pas Peter Embarek, qui a sa petite idée.
Selon le Danois, le «patient zéro», la première personne à être infectée par le Covid-19, pourrait avoir été un chercheur de l’Institut de virologie de Wuhan. C’est du moins ce qu’il affirme dans un documentaire diffusé sur la chaîne de télévision danoise TV2. Un employé de laboratoire «infecté alors qu’il prélevait des échantillons fait maintenant partie des hypothèses crédibles», dit le chercheur.
Il ne se contente d’ailleurs pas de critiquer les tentatives de dissimulation de la Chine. Non, il pointe également du doigt ses propres rangs et le rapport final de l’OMS sur la mission d’experts à Wuhan, publié en mars. Face aux caméras, il lance une accusation à peine voilée: «Peut-être que personne ne veut connaître la vérité.»
Une visite du laboratoire en touriste
Ainsi, Peter Embarek se met en porte-à-faux avec la déclaration officielle de l’OMS selon laquelle il est «extrêmement improbable» que le virus se soit échappé du laboratoire de Wuhan fin 2019. Il est toutefois d’accord sur un point: il ne croit pas non plus que le virus ait été délibérément élevé dans le cadre d’expériences. Mais il pense qu’il est tout à fait possible qu’un chercheur l’ait contracté d’une chauve-souris dans le laboratoire.
La Chine n’aurait rien fait pour faciliter le travail de son équipe. Le voyage mené par Peter Embarek a été reporté de manière inexplicable. Pékin a ensuite refusé des papiers à deux scientifiques de l’équipe de dix membres, alors qu’ils étaient déjà dans l’avion.
Le chef de la délégation a passé les 14 jours de quarantaine à essayer d’obtenir l’accès au laboratoire de Wuhan pour son équipe. L’autorisation a finalement été accordée, mais ils n’ont pu franchir guère plus que le hall d’entrée. Les chercheurs de l’OMS ont observé l’intérieur du laboratoire à travers des fenêtres en verre et n’ont eu accès ni aux données, ni aux échantillons de sang de premiers cas Covid stockés dans les hôpitaux, ni aux documents du laboratoire. D’enquête approfondie sur une pandémie mondiale, leur visite s’est transformée en parcours touristique.
Le «premier» patient Covid de Chine
La délégation a toutefois pu visiter un deuxième établissement géré par le département chinois de la santé (CDC), non loin du marché des produits frais, là encore sous stricte surveillance. Un laboratoire installé en décembre 2019. À défaut d’en être convaincu, Peter Embarek admet toutefois qu’il aurait pu y avoir des failles de sécurité lors du déplacement des échantillons de virus dans ce nouvel établissement. Des enquêtes complémentaires et l’accès aux dossiers des laboratoires seraient nécessaires pour vérifier cela, mais la Chine s’y oppose.
Les autorités chinoises ont par ailleurs présenté aux chercheurs de l’OMS celui qu’elles considèrent comme le patient zéro: un «employé de bureau normal», dit Peter Embarek, qui ne s’est jamais rendu sur le marché de produits frais d’où serait partie la pandémie. L’homme d’une quarantaine d’années avait une «vie très ennuyeuse» et passait le plus clair de son temps à surfer sur internet. Peter Embarek n'arrive pas à imaginer que cet homme puisse être le premier patient Covid.
Par ailleurs, cet homme aurait été infecté le 8 décembre 2019, alors que les preuves d’une circulation du virus antérieure à cette date s’accumulent.
Quatre hypothèses possibles sur l’origine du virus
Peter Embarek, l’OMS et les collègues chinois semblent s’accorder un point: le virus émanerait bien de chauves-souris de l’espèce «Grand rhinolophe fer à cheval». Ces animaux ne vivent pourtant pas dans la région de Wuhan. Il existe donc pour l’OMS quatre hypothèses:
- Un voyageur a été infecté et a apporté l’infection à Wuhan.
- Les chauves-souris sont arrivées congelées au marché frais de Wuhan.
- Un animal a été infecté par une chauve-souris et est ensuite venu à Wuhan.
- Il y a eu un accident de laboratoire à l’Institut de virologie de Wuhan, où les coronavirus de chauve-souris sont stockés et font l’objet de recherches.
Peter Embarek précise que la direction de l’OMS était frileuse à l’idée de mentionner la quatrième théorie dans le rapport final. 48 heures avant la publication du rapport, toute mention d’un lien entre l’origine du virus et le laboratoire était débattue avec véhémence. Le rapport ne parlera finalement qu’en termes vagues de la théorie du laboratoire, sous pression chinoise.
Que le gouvernement chinois ait agi ainsi par volonté de contrôle ou parce qu’il a quelque chose à cacher, telle est la question que se pose à présent le chercheur danois. Pour lui, la façon dont «le gouvernement s’est comporté» est une raison suffisante en elle-même pour «approfondir la théorie du laboratoire».
Une cinquième hypothèse, «la plus probable»
Peter Embarek émet de son côté une cinquième hypothèse, qu’il estime plus probable que toutes les autres: un chercheur d’un laboratoire aurait contracté la maladie lors de son travail sur le terrain. Lorsque les chauves-souris sont capturées, «un virus pourrait passer directement à l’homme. Nous aurions alors un laborantin comme premier patient, et non une personne prise au hasard.»
En juillet, l’OMS a proposé d’enquêter à nouveau à Wuhan, avec cette fois des experts qui ne se contenteraient pas de considérer l’aspect scientifique, mais qui seraient également autorisés à mener une réelle enquête de police. La Chine rejette vigoureusement cette idée. Le vice-ministre de la Santé, Zeng Yixin, s’est dit «extrêmement surpris» que la communauté internationale demande des enquêtes supplémentaires en Chine. M. Zeng a accusé l’OMS de «faire fi du bon sens et de faire preuve d’arrogance à l’égard de la science».