Après une journée de rébellion armée spectaculaire des paramilitaires du groupe Wagner, la présidence russe et Evguéni Prigojine ont convenu samedi d'un accord samedi. Les troupes de mercenaires sont arrivées à quelques centaines de kilomètres de Moscou, avant de se retirer. Analyse de la situation avec Ulrich Schmid, professeur de culture et de société russes à l'université de Saint-Gall.
Sommes-nous en train de vivre le début de la fin pour Vladimir Poutine?
La position de Vladimir Poutine est certainement menacée. Son intervention de samedi matin montre qu'il n'est plus maître de la situation.
Comment le constatez-vous?
Dans son discours, Vladimir Poutine a évoqué l'unité de l'Etat et du peuple. Cela montre clairement que celle-ci a été perdue.
Qu'avons-nous vu samedi, une tentative de putsch? Ou le début d'une guerre civile évitée de justesse?
Les deux sont exagérés. Il s'agissait d'une mutinerie, d'une insurrection. L'objectif d'Evguéni Prigojine est d'imposer sa propre ligne militaire. Ses principaux adversaires sont le ministre de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d'état-major Valeri Guerassimov. Prigojine a toujours exigé que Poutine les démette de leurs fonctions et que ses propres troupes de mercenaires Wagner soient davantage soutenues.
Il ne veut donc pas renverser Poutine?
Au moins au début de son action, ça ne devait pas être sa priorité. Il s'agissait avant tout de renforcer sa propre position dans le système poutinien. Entre-temps, il a dû se rendre compte qu'il n'y avait plus de place pour lui dans le système. Il va désormais tout miser sur une seule carte. Mais son grand handicap est qu'il n'a aucun pouvoir au Kremlin.
Et au sein de l'élite russe? Ne bénéficie-t-il pas de sympathies?
Non. Il est le chef de sa propre troupe, qui lui est fidèle. Mais il n'a guère de soutien dans le système politique.
Pas même au sein de l'armée russe? N'est-il pas possible qu'une partie de celle-ci se rallie à Evguéni Prigojine sur le long terme?
C'est possible. L'armée est en mauvais état, de nombreux soldats sont mécontents. Parmi les soldats, leur loyauté envers Vladimir Poutine décline. Mais jusqu'à présent, seuls quelques dizaines de soldats ont fait défection. C'est trop peu pour changer fondamentalement la situation. Je pense qu'il est pratiquement exclu qu'Evguéni Prigojine prenne effectivement le pouvoir en Russie dans les prochains mois.
Que va-t-il se passer maintenant?
Vladimir Poutine voudra mettre Evguéni Prigojine hors jeu le plus rapidement possible.
En le tuant?
Si nécessaire, oui. Il traite Evguéni Prigojine de traître. C'est le niveau le plus bas de la hiérarchie selon Vladimir Poutine. Il fait la différence entre les ennemis et les traîtres. Les ennemis sont ceux qui ont toujours été contre lui, par exemple l'opposant Alexeï Navalny. Les traîtres sont d'anciens compagnons d'armes qui le poignardent dans le dos.
Les troupes de Wagner ont marché vers Moscou samedi, avant de s'arrêter. Que se passera-t-il dans les prochains jours?
La situation est opaque. Mais Evguéni Prigojine prend manifestement pour modèle la Marche sur Rome de Mussolini en 1922. Il met quasiment en scène le modèle fasciste.
Une bataille à Moscou aura-t-elle lieu un jour?
Je pense que c'est peu probable. Mais le simple fait que l'on se prépare à ce scénario à Moscou montre à quel point la situation doit être désespérée au Kremlin. C'est l'aveu d'une profonde faiblesse. La position de Vladimir Poutine s'en trouve également fondamentalement ébranlée.
Peut-il se maintenir au pouvoir?
La révolte d'Evguéni Prigojine a affaibli la position de Vladimir Poutine. Sa réélection programmée en tant que président l'année prochaine ne va plus de soi, car il n'est plus capable de garantir la stabilité et la sécurité. Un scénario possible consiste en une démission anticipée de Vladimir Poutine et en la reprise constitutionnelle de la fonction présidentielle par le Premier ministre Mikhaïl Michoustine. Cela reviendrait alors à maintenir le système poutinien, mais sans la personne de Vladimir Poutine.
Quel est l'impact de ces événements sur la guerre en Ukraine?
Le soulèvement en Russie est une bonne nouvelle pour les Ukrainiens. Le calcul est simple: la mutinerie d'Evguéni Prigojine mobilise en Russie aussi bien les forces du groupe Wagner que celles de l'armée russe. Celles-ci manquent ensuite en Ukraine, ce qui facilite la contre-offensive de Kiev. L'évolution du front pourrait bientôt bouger.
Et que signifie une Russie instable pour l'Occident?
L'Occident surveillera la situation de près, mais n'interviendra pas. Il n'a actuellement aucune possibilité d'action en cas de luttes de pouvoir internes en Russie.