Tout miser sur l'atome
L’Italie rouvre le débat sur le nucléaire après 40 ans de rejet

L’Italie envisage à nouveau l’option du nucléaire, près de 40 ans après l’avoir abandonnée sous la pression de l’opinion publique. Malgré cette ouverture, les experts estiment qu’il faudra au moins une décennie avant une éventuelle mise en œuvre.
Publié: 28.02.2025 à 15:21 heures
Le gouvernement italien relance l’idée d’un retour à l’énergie nucléaire après 40 ans d’opposition. (image d'illustration)
Photo: AFP
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AFP Agence France-Presse

Le gouvernement italien a rouvert vendredi l'hypothèse d'un retour à l'énergie nucléaire après environ 40 ans d'opposition de l'opinion publique, même si les experts estiment qu'il faudra au moins une décennie avant que ce tournant ne soit effectif.

Le gouvernement de Giorgia Meloni soutient que le nucléaire pourrait jouer un rôle clé dans le renforcement de la sécurité énergétique de la péninsule, ainsi que dans la décarbonation et la réduction des prix élevés de l'électricité.

Grand parc nucléaire

Le ministre de l'Energie, Gilberto Pichetto Fratin, a fixé un délai d'un an pour élaborer un cadre juridique permettant le retour au nucléaire, avec des réacteurs traditionnels ou de nouvelle génération. «Avec le nucléaire de dernière génération, combiné aux renouvelables, nous serons en mesure d'atteindre les objectifs de décarbonation, et de garantir ainsi la pleine et entière sécurité énergétique du pays», a-t-il affirmé vendredi.

Les opposants objectent cependant que l'atome est beaucoup plus coûteux que les autres énergies bas carbone, qu'il faut des années pour le mettre en œuvre et qu'il fournit aux responsables politiques un prétexte pour ralentir la sortie des énergies fossiles.

En France, où le parc nucléaire civil est l'un des plus grands du monde, l'EPR de Flamanville, réacteur de nouvelle génération raccordé au réseau fin décembre avec 12 ans de retard, a coûté quatre fois de plus que prévu.

L'Italie, pionnière du nucléaire

L'Italie a été une pionnière de l'énergie nucléaire, mais les Italiens ont voté massivement contre après la catastrophe de Tchernobyl en 1986, entraînant la fermeture progressive des centrales.

L'Italie a compté quatre réacteurs nucléaires. Leur combustible a été évacué et ils ont en cours de démantèlement. Les dernières centrales ont fermé en 1990 et les tentatives de Rome pour relancer le secteur ont été contrecarrées par un autre référendum en 2011 après l'accident de Fukushima.

L'Italie ne dispose pas non plus d'une solution de stockage des déchets, car plus de 50 sites envisagés ont refusé de les accueillir. Pour Simona Benedettini, consultante en énergie, le gouvernement ultraconservateur de Giorgia Meloni s'emploie à briser un «tabou» en rouvrant le débat.

Plus faciles que d'autres centrales

Selon le gouvernement, la nouvelle loi devrait couvrir le démantèlement des anciennes centrales, la gestion des déchets et du combustible usé, ainsi que la recherche, le développement et l'utilisation de l'atome.

L'énergie nucléaire serait également utilisée pour la production d'hydrogène, afin de contribuer à la décarbonation des secteurs les plus polluants, tels que la sidérurgie. Le financement pourrait provenir d'investisseurs privés et de subventions publiques, a précisé le ministre Pichetto Fratin.

Des discussions sont déjà en cours entre le groupe énergétique Enel, la société d'ingénierie Ansaldo et le groupe de défense Leonardo pour créer une société soutenue par l'État afin de construire de petits réacteurs modulaires (SMR), plus faciles à installer que les centrales conventionnelles.

Le retour du nucléaire

L'Italie n'est pas la seule à réfléchir au nucléaire. Depuis que les prix du gaz ont grimpé avec la guerre en Ukraine, l'intérêt mondial pour le secteur est à son plus haut niveau depuis les crises pétrolières des années 1970.

Selon le groupe de réflexion sur le climat Ember, un peu plus de la moitié de l'électricité produite en Italie en 2024 était d'origine fossile. Se concentrer sur le nucléaire risque toutefois d'être «contre-productif», met en garde Beatrice Petrovich, analyste chez Ember.

Le nouveau nucléaire «est plus cher que l'éolien et le solaire et prend plus de temps à mettre en service et à installer», avance-t-elle. Rome a accordé peu d'attention aux énergies renouvelables, cherchant plutôt à conclure des accords d'approvisionnement en gaz avec d'autres pays dans le cadre de son ambition de transformer l'Italie en un «hub» gazier pour la Méditerranée.

Tout miser sur l'atome

En choisissant l'atome, le pays deviendrait dépendant des sources d'approvisionnement en uranium «ce qui pourrait poser un risque géopolitique réel», fait en outre valoir Beatrice Petrovich. Si 81% des Italiens sont toujours opposés au nucléaire, selon un sondage Ipsos réalisé en novembre, les entreprises, elles, espèrent faire baisser leurs factures.

Emanuele Orsini, chef de Confindustria, le syndicat du patronat, a appelé à la «réactivation» des anciens réacteurs et suggéré que l'opposition des communautés locales à de nouveaux sites pourrait être contournée par des entreprises hébergeant des SMR en interne.

Selon un plan présenté l'année dernière et portant sur 10 ans, Rome envisage d'installer d'ici 2050 une capacité nucléaire suffisante pour produire entre 11% et 22% de la consommation électrique du pays.

Les obstacles sont néanmoins si nombreux qu'"il n'y aura pas de mise en oeuvre pratique et commerciale de l'énergie nucléaire avant des décennies, et en fait, elle n'arrivera probablement jamais», estime Luca Bergamaschi, du groupe de réflexion sur le climat ECCO.

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