Après l'élection d'Alain Berset au poste de secrétaire général du Conseil de l'Europe, Christine Schraner Burgener souhaiterait, elle aussi, tenter sa chance au niveau international: la secrétaire d'Etat aux migrations (SEM) vise le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Genève, a appris Blick de milieux proches du Conseil fédéral.
Le poste à la tête du HCR est l'un des plus prestigieux que l'ONU puisse offrir. L'actuel chef de l'organisation, Filippo Grandi, restera encore en fonction jusqu'à fin 2025. L'Assemblée générale des Nations Unies devrait se pencher sur sa succession dès septembre 2025. En se positionnant ainsi, Christine Schraner Burgener semble suivre la stratégie de fuite en avant: son secrétariat d'Etat croule sous des problèmes – dont certains seraient aussi liés à la personne à sa tête. Au sein du Conseil fédéral, on parle régulièrement d'une «erreur de casting».
L'actuelle cheffe du SEM est considérée comme une diplomate de renom, mais elle est plutôt faite pour la scène mondiale que pour les bas-fonds de la politique d'asile suisse, où l'esprit de clocher et l'aptitude à la salle polyvalente sont souvent déterminants. Au lieu d'avoir affaire à des citoyens en colère dans le canton de Schwytz qui veulent empêcher la construction d'un centre fédéral d'asile, la Bernoise aurait à l'avenir à faire au président américain et à des célébrités caritatives comme Angelina Jolie ou Cate Blanchett.
Une candidature qui prend du temps
L'intéressée ne souhaite pas commenter ses ambitions pour le HCR: «Madame Schraner Burgener n'a jamais rendu public ce à quoi elle pourrait postuler. Ce ne serait d'ailleurs pas professionnel, car une candidature n'est rendue publique que lorsqu'elle est officiellement déposée», fait savoir un porte-parole du SEM. Officiellement, Christine Schraner Burgener avait déclaré la semaine dernière à Blick: «Un poste qui m'attire beaucoup se libère dans une organisation internationale. Le département des Affaires étrangères cherche quelqu'un qui puisse se présenter et m'a contactée. Le poste sera mis au concours l'année prochaine.»
Mais en interne, la cheffe ambitieuse est plus bavarde. Mardi dernier, lors d'une réunion à huis clos du SEM, elle a laissé entendre que le job de ses rêves avait un rapport avec sa profession actuelle. On peut donc se demander pourquoi elle quitte ses fonctions à la fin de l'année – et pourquoi elle ne tente pas de gravir les échelons du HCR depuis son poste.
«Une telle candidature prend du temps, indique un porte-parole du SEM. Le faire en plus d'une fonction exigeante comme celle de directrice du SEM ne serait pas sérieux et ne servirait aucune des deux fonctions.» Car l'intéressée n'est pas seulement responsable des mouvements de réfugiés en provenance d'Ukraine et de toutes les autres demandes d'asile. Elle prend également en charge toutes les négociations avec l'UE concernant la libre circulation des personnes. «Le poste de secrétaire d'État à la migration la sollicite suffisamment», précise encore le SEM.
Une enquête externe «sans tabou»
Il est toutefois possible que la membre du Parti socialiste (PS) ait rencontré davantage d'embuches que ce que l'on pensait au sein du Conseil fédéral. Officiellement, le conseiller fédéral Beat Jans souligne qu'elle jouit de son entière confiance. Mais l'enquête de Blick le montrent: le Département de la justice s'est montré à plusieurs reprises «pas amusé» («not amused», ndlr) ces derniers temps. C'est justement auprès de sa collège de parti Elisabeth Baume-Schneider que Christine Schraner Burgener serait apparemment tombée en disgrâce.
En vertu de la loi sur la transparence, Blick a pu consulter des documents internes. La cheffe du département de l'époque avait ordonné en 2023 une enquête externe «sans tabou». Le résultat n'était guère flatteur pour la cheffe du SEM: «Les domaines de direction et les états-majors veillent à ce que les documents soient de haute qualité et complets, rappelle un document de manière presque trop claire. Une attention particulière est accordée au domaine des statistiques et des chiffres. Le SEM élabore un concept pour le traitement des chiffres et des statistiques au sein de l'office.»
Ses chances? Difficile à évaluer
Le SEM manque-t-il de soin dans ses activités? Christine Schraner Burgener rejette ce reproche: «Il est dans la nature des choses de discuter de la collaboration et des procédures avec une nouvelle direction et, le cas échéant, de les adapter selon ses souhaits. Cela ne nous semble pas exceptionnel», déclare un porte-parole du SEM.
Pour l'heure, les chances de la candidate pour le poste de Haut Commissaire pour les réfugiés sont difficiles à évaluer. L'année dernière, la Suisse a versé 36 millions de francs au HCR et a donc été moins généreuse que la Scandinavie. En revanche, Christine Schraner Burgener bénéficie de la confiance du secrétaire général de l'ONU António Guterres, qui a lui-même dirigé le HCR avant de faire le saut à New York (USA).
Lorsque les nationalistes bouddhistes du Myanmar ont commencé à réprimer et à expulser les Rohingyas, majoritairement musulmans, António Guterres avait choisi la Bernoise comme envoyée spéciale pour le Myanmar. Il n'en reste pas moins qu'une élection de combat l'attend: il est possible qu'elle doive affronter en septembre 2025 d'anciens chefs d'Etat et de gouvernement qui aspirent également à une carrière internationale.
Une campagne électorale avec un salaire annuel de 400'000 francs
C'est peut-être aussi pour cette raison que Christine Schraner Burgener s'offre une phase de campagne électorale bien rémunérée: à partir de janvier 2025, le SEM sera derrière elle et elle pourra faire campagne avec son salaire – soit près de 400'000 francs par an.
Il est possible qu'elle s'exprime alors différemment de ce qu'elle peut faire actuellement: en tant que cheffe du SEM, elle devra critiquer les États qui ne veulent pas reprendre les citoyens expulsés de Suisse. A ce poste, c'est surtout l'UDC qui exige d'elle moins de migration et plus d'isolement. En tant que Haut Commissaire pour les réfugiés, elle serait en revanche l'avocate suprême des personnes en fuite. En attendant, pour parer à toute éventualité, le SEM souligne que «Madame Schraner Burgener se sent obligée de défendre les intérêts de son employeur actuel jusqu'à son dernier jour de travail».