Il aura suffi de quelques secondes à Elon Musk pour provoquer un véritable déferlement sur les réseaux sociaux. Durant un meeting de Donald Trump tenu la veille de son inauguration, le magnat de 53 ans a livré un discours excentrique, seul face à une foule déchaînée, un océan de casquettes rouges et de smartphones dressés. «Voici ce que ça fait d'être victorieux», a-t-il clamé, plus euphorique que s'il venait lui-même de gagner l'élection présidentielle.
«Merci d'avoir rendu tout ceci possible, a-t-il poursuivi. Mon cœur est avec vous tous!» Sur ce, à deux reprises, Elon Musk touche sa poitrine avant de tendre le bras, paume tournée vers le sol. Ce geste peut-il être assimilé à un salut fasciste? Certains décrètent que oui. Par exemple, pour Ruth Ben-Ghiat, professeure d'histoire à l'Université de New York, «il s'agissait clairement d'un salut nazi. Et très agressif, en plus!»
«Un homme autiste, socialement maladroit»
Parmi les opinions divergentes, certaines analyses psychologiques de Musk ont attiré l'attention de la presse. Parmi elles, on découvre notamment le post de l'autrice et journaliste américaine Batya Ungar-Sargon: «Alors que j'ai souvent critiqué Elon Musk, je suis extrêmement certaine qu'il ne s'agissait pas d'un salut nazi, a-t-elle écrit sur X. Elon Musk est l'ami des Juifs. On voit ici un homme touché par le syndrome d'Asperger qui essaie de manière exubérante de manifester son émotion devant la foule».
Aaron Aster, professeur associé à l'Université de Maryville, tient des propos similaires sur la plateforme: «J'ai beaucoup reproché à Elon Musk d'avoir laissé les néo-nazis polluer la plateforme X. Mais ce geste n'est pas un salut nazi. C'est juste un signe de la main réalisé par un homme autiste, socialement maladroit, qui essaie d'exprimer l'idée que 'son cœur est avec nous'.»
«Vous pensiez que j'allais être un gars normal?»
Pour rappel, Elon Musk avait déclaré qu'il était concerné par le syndrome d'Asperger, sur le plateau de l'émission «Saturday Night Live», en 2021: «J'ai réinventé la voiture électrique et j'envoie des gens sur Mars dans des fusées, avait-il plaisanté. Vous pensiez vraiment que j'allais être un gars normal?»
Depuis quelques années, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) n'évoque plus le syndrome d'Asperger comme un trouble spécifique, mais l'inclut parmi les TSA (troubles du spectre autistique). Le terme n'est donc plus utilisé tel qu'il l'était autrefois, pour désigner une forme d'autisme caractérisée, entre autres, par des difficultés sociales contrastant avec un développement intellectuel avancé, ainsi que des intérêts très spécifiques et poussés.
Souvent peu provocatrices
Suite à ses révélations sur «Saturday Night Live», les exubérances d'Elon Musk sont souvent rattachées à son autisme. Mais ce lien est-il vraiment pertinent? Pour une représentante de l'association Autisme Suisse romande (qui n'a pas souhaité être nommée), l'amalgame semble un peu précipité.
«Il est évidemment difficile de parler d'un profil 'typique' des personnes concernées par ce qu'on appelait le syndrome d'Asperger, car il existe autant de formes d'autisme que d'individus, souligne-t-elle. Mais certaines caractéristiques se retrouvent quand même assez fréquemment. Par exemple, les personnes concernées sont souvent assez introverties, peu compétitives et peu provocatrices, avec une capacité à réaliser des choses extraordinaires, mais plutôt dans l'ombre.»
Autisme Suisse romande estime donc que le profil d'Elon Musk ne correspond pas vraiment à ce «type», puisqu'il a l'air d'apprécier la provocation, l'attention d'autrui et la célébrité: «Bien sûr, on peut rencontrer des personnes autistes qui présentent ces caractéristiques, mais d'après notre expérience, c'est assez rare, poursuit notre intervenante. Sans oublier que les individus concernés ont souvent de grandes hypersensibilités qui peuvent les rendre intolérants au bruit, à la foule, aux lumières... On milite d'ailleurs pour que celles-ci soient respectées dans le milieu professionnel. Généralement, ce ne sont donc pas des personnes qui adorent le spotlight.»
«Pas toutes les personnes autistes ne sont socialement maladroites»
Même son de cloche pour Elizabeth Frei, psychologue et psychothérapeute FSP: «Il est inapproprié de dire que tous les individus autistes sont socialement maladroits, pointe-t-elle. Bon nombre d'entre eux parviennent très bien à cacher leurs difficultés sociales et deviennent ainsi des perfectionnistes sociaux. Et il est certain qu'une 'attitude typique d'Asperger' n'existe pas, puisque chaque personne est unique!»
Impossible, donc, d'analyser Elon Musk sans une certaine expertise et sans l'avoir rencontré. «On ne peut pas non plus tout limiter ou résumer à l'autisme, même s'il affirme avoir été diagnostiqué, poursuit la représentante d'Autisme Suisse. L'autisme n'est pas une excuse, ni le seul facteur qui entre en compte ici. Il s'agit avant tout du caractère individuel d'Elon Musk, et non pas d'une personnalité 'typique' TSA.»
D'autres facteurs entrent en jeu
De nombreux facteurs ont donc pu conduire à l'excentricité et aux gestes affichés durant le meeting. «L'attitude d'Elon Musk peut aussi venir d'un excès d'excitation et d'égotisme, qui l'empêchaient de comprendre l'impact de son comportement sur les personnes qui ne comprenaient pas la nature hyperbolique de ses gestes, précise Elizabeth Frei. Nous devons résister à la tentation d'identifier les comportements inappropriés ou étranges comme étant forcément relatifs à l'autisme. Sinon, on risque de réduire l'individualité et la responsabilité personnelle d'un individu à son diagnostic, ce qui dessert la personne autant que le groupe.»
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que des «analyses psychanalytiques» d'Elon Musk fleurissent. La Toile fourmille de théories. Il y a quelques années, le magazine «Forbes» soulignait par exemple que le magnat semblait posséder plusieurs caractéristiques associées à la psychopathie, dont un charme superficiel, une attitude qui contraste avec les normes sociales et un manque d'empathie.
Mais à moins d'être son psychologue attitré (qu'il n'a jamais engagé, d'ailleurs), on ne peut réellement comprendre le fonctionnement du milliardaire. Il faut s'y résoudre: Elon sera toujours Elon. Diagnostiqué ou non.