Vous connaissez l’éternité du Brexit? Ce tunnel politique et économique sans fin, désigné sous le nom de «brexiternity» par l’ancien ministre travailliste Dennis Mac Shane, est celui dans lequel va s’engager à partir de mardi le nouveau Premier ministre britannique.
Rishi Sunak, 42 ans, aura en effet devant lui une épreuve annoncée, dès que le roi Charles III l’aura nommé au 10, Downing Street: dégager enfin l’horizon pour le Royaume-Uni, six ans après le référendum du 23 juin 2016 sur le Brexit, et le divorce chaotique qui s’ensuivit avec l’Union européenne (UE). «Le Royaume-Uni est un grand pays qui affronte une crise économique profonde», a-t-il d’emblée déclaré.
Retrouvez la déclaration de Rishi Sunak
Cohérence personnelle
Or pour le coup, «Rishi» a des atouts. À commencer par sa cohérence personnelle, comparée aux autres chefs du gouvernement qui l’ont précédé depuis la victoire de justesse du «Leave», par 51,8% des voix contre 48,11%.
Diplômé d’Oxford, ancien de la banque Goldman Sachs, marié à une riche héritière d’origine indienne, ce fils d’une famille indienne installée jadis dans les colonies britanniques d’Afrique de l’Est a toujours estimé que son pays pouvait faire cavalier seul dans la mondialisation. Il a donc fait campagne et voté pour le Brexit, alors que Theresa May avait refusé de prendre position, que Boris Johnson a changé d’avis in extremis en faveur du «Leave», et que son immédiate prédécesseure Liz Truss avait voté «Remain».
Rishi Sunak, tenant d’une politique économique libérale, ouverte sur le monde, n’a toutefois jamais diabolisé l’UE. Il ne s’est pas non plus prononcé en faveur du projet de loi destiné à abroger près de 2000 textes législatifs hérités du droit communautaire, dont la Chambre des communes doit débattre cette semaine. Son pragmatisme, en la matière, pourrait au contraire le conduire à temporiser.
Il ne fait pas partie des «ultras» sur la question irlandaise
Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) dans le gouvernement de Boris Johnson, de juillet 2019 à juillet 2022, Rishi Sunak n’a par ailleurs jamais fait partie des ultras sur la question de la frontière entre les deux Irlande – le fameux protocole irlandais - qui oppose toujours Londres à Bruxelles.
Contrairement à Liz Truss, qui avait promis de ne rien céder, l’ex-grand argentier s’est toujours tenu à distance de ce sujet politiquement empoisonné. L’idée d’installer une frontière douanière en mer d'Irlande ne lui plaît pas, mais son obsession d’un rétablissement économique rapide du Royaume-Uni pourrait le pousser à faire des concessions à l’UE. Laquelle s’est empressée de lui tendre la main par la voix du président du Conseil européen Charles Michel: «Travailler ensemble est la seule façon de faire face aux défis communs […] et apporter la stabilité est essentiel pour les surmonter», a déclaré ce dernier sur Twitter lundi 24 octobre.
L’euroscepticisme n’a pas été sa pierre angulaire
«L’ancien chancelier Sunak a maintenu une plus grande distance avec le conflit toxique du protocole irlandais, notait ces jours-ci dans un rapport le think tank bruxellois European Policy Center. Mieux: Rishi Sunak n’a pas fait de l’euroscepticisme une pierre angulaire de sa campagne de leadership au même titre que Boris Johnson et Liz Truss. En tant que tel, il pourrait être possible de reconstruire les relations, car il a toujours insisté sur le coût d’une éventuelle guerre commerciale entre l’UE et le Royaume-Uni sur l’économie britannique».
Et ce laboratoire d’idées européen de poursuivre: «Avec lui, les relations entre l’UE et le Royaume-Uni partiront d’un point de départ plus neutre […] Un espace pourrait être créé pour dédramatiser et dépolitiser la relation. Si les relations étaient reléguées à un niveau 'de troisième ordre' ou bureaucratique, gérées au sein des structures de gouvernance formelles de l’accord de retrait (WA) et de l’accord de commerce et de coopération (TCA) entre l’UE et le Royaume-Uni, les responsables européens et britanniques pourraient être en mesure de trouver des solutions communes à bon nombre des problèmes techniques actuels concernant le protocole et d’autres questions commerciales.»
Rishi Sunak, premier non-blanc à diriger le Royaume-Uni et 222e fortune du pays sera-t-il l'antidote au «Brexiternity»? La réalité est que Rishi Sunak sait qu’il aura besoin d’une forme de solidarité européenne pour faire face aux défis immédiats, dès son arrivée au 10, Downing Street.
«Pour équilibrer un déficit budgétaire aggravé par la hausse des coûts d’emprunt provoquée par la crise, le prochain Premier ministre devra très probablement superviser des réductions de dépenses et des augmentations d’impôts. Une déclaration fiscale à ce sujet est attendue le 31 octobre, note l’agence Reuters. Cette déclaration intervient alors que le gouvernement est confronté à des pressions pour aider les ménages vulnérables à traverser une douloureuse crise financière, avec une hausse des coûts des prêts hypothécaires qui s’ajoute à la hausse des prix des denrées alimentaires, du chauffage et du carburant causée par la guerre en Ukraine et d’autres facteurs mondiaux.»
Idem sur le front militaire face à la Russie, alors que les États-Unis pressent leurs alliés de l’OTAN d’en faire plus pour aider l’armée ukrainienne. Alors? «Sunak a soutenu le Brexit lors du référendum de 2016, mais il est toujours considéré par certains à la droite du parti comme trop sympathique à l’UE» poursuit Reuters. «Sympathique»: un mot que jusque-là, personne n’aurait envisagé d’utiliser à propos de Boris Johnson ou de Liz Truss! Déjà un progrès…