Bibi sur la tête, chignon impeccable, robe noire fermée jusqu’au col par un gros nœud de velours. Dimanche dernier, Kate Middleton est apparue fidèle à elle-même pour le «Remembrance Sunday», la journée consacrée au Royaume-Uni au souvenir des soldats tombés lors des deux Guerres mondiales. Fidèle à elle-même, c’est-à-dire tirée à quatre épingles, bien habillée tout en étant sobre…bref, l’idée de la perfection selon la monarchie britannique. C’est peu dire que cette apparition était scrutée: la princesse de Galles s’affichait en public pour la première fois depuis l’annonce de la rémission de son cancer, en septembre. Ce ne devrait pas être la dernière. Mardi, le Palais de Kensington a indiqué qu’elle assurerait également, comme tous les ans, l’animation du service de Noël à l’Abbaye de Westminster.
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Si ces derniers mois ont sans nul doute été éprouvants pour l’épouse du prince William, contrainte de passer par la case chimiothérapie, ils lui ont aussi permis de donner un sacré coup de polish à la communication royale. Peu habituée à exposer les problèmes de santé de ses représentants, la monarchie a bousculé ses principes avec cette jeune princesse, au point que certains observateurs y ont vu une véritable révolution. À y regarder de plus près, pourtant, la modernité de Kate Middleton semble toute relative…
Acte 1: la monarchie mise sur le silence
Pour comprendre ce qui a changé, il faut revenir au début du mois de mars 2024. À ce moment-là, la presse, les amateurs de potins et les fans de la monarchie britannique – certaines personnes pouvant entrer dans plusieurs catégories à la fois – s’agitent autour du cas Kate Middleton. La princesse n’a plus été vue en public depuis la fameuse messe de Noël 2023. Mi-janvier, Kensington annonce qu’elle a subi une opération. Dans les semaines qui suivent, le silence radio alterne avec les couacs. Lorsque le ministère de la Défense britannique affirme que Kate Middleton doit participer en juin à une parade militaire, son entourage ne confirme pas.
Un flou qui laisse place à toutes les spéculations. La question «Where is Kate?», «où est Kate?», explose sur les moteurs de recherche. Sur Internet, les théories se multiplient. Pour les uns, la quadragénaire aurait subi des complications après son opération. Pour d’autres, son couple avec William bat de l’aile, le prince ayant des aventures extraconjugales. Au beau milieu de cette course à la rumeur, le summum du chaos est atteint le 10 mars 2024. Sur Internet, le Palais de Kensington publie une photo de la princesse avec ses trois enfants, Louis, George et Charlotte. Tous en look gentleman farmer, ils sourient de toutes leurs dents.
Rapidement cependant, des détails interpellent les yeux les plus aguerris. Des zones floues sur la photo, des doigts étranges… de toute évidence, le cliché a été grossièrement modifié. Dans la soirée, les agences de presse retirent la photo de leur base de données. Le lendemain, Kensington rétropédale avec des excuses, au nom de Kate Middleton. Celle-ci, comme «de nombreux photographes amateurs», «s’essaie occasionnellement à la retouche». Loin d’éteindre le feu des spéculations, cet épisode ajoute une bonne dose d’huile dessus.
Acte 2: la reprise en main… très policée
Dix jours plus tard, le 20 mars, une vidéo de la princesse de Galles coupe court à tout cela. Face caméra, assise sur un banc en marinière, les traits tirés mais le brushing toujours impeccable, Kate Middleton annonce être atteinte d’un cancer et suivre une chimiothérapie. Les mots sont pesés, rien ne dépasse. Surtout, cette prise de parole est dans la droite ligne de la communication royale: la princesse reste très vague, ne précise pas le type de cancer dont elle est atteinte ni son stade, insiste sur sa famille, son droit à la vie privée, et dit qu’elle va «très bien». La vidéo est tournée par la BBC, la chaîne britannique qui suit la monarchie depuis toujours avec déférence.
Kate Middleton se montre alors comme elle s’est toujours montrée: parfaite. Elle, la roturière fille d’entrepreneurs, critiquée au milieu des années 2000 – l’annonce officielle de son couple avec William date de 2004 – par une presse britannique intraitable pour n’avoir pas la classe requise, s’est coulée avec une aisance déconcertante dans le moule de l’épouse du futur roi. Elle ne porte que des robes sous le genou et jamais de talons compensés, comme le veut le protocole. Apparaît debout sur le perron de la maternité quelques heures seulement après son accouchement, parfaitement maquillée et coiffée. Affiche à la plage une minceur impressionnante quelques semaines plus tard. Et, donc, parle de son cancer à 42 ans avec un calme et une élégance à toute épreuve.
Mais le mal est fait, et les éditorialistes le notent immédiatement, chargeant «La Firme», le surnom qu’on donne à la monarchie britannique. «Pourquoi ne pas avoir dit la vérité aux gens, bon sang?», s’agace Mary McNamara, du «Los Angeles Times». «Si l’annonce du jour avait été faite en février, ou simplement deux semaines plus tôt, nous aurions tous pu envoyer nos pensées et nos prières à la princesse et sa famille, au lieu de se demander où était passée son alliance et si une doublure avait été utilisée dans les photos les plus récentes.»
Cet épisode met en lumière la communication défaillante du palais de Kensington (en charge du couple héritier du trône), qui arrive bien trop tard. C’est d’autant plus criant que quelques mois plus tôt, le roi Charles III avait lui aussi annoncé souffrir d’un cancer, de façon beaucoup plus transparente. Le fait d’avoir fait porter la responsabilité des retouches ratées sur une photo à une femme souffrant d’un cancer ne passe pas dans l’opinion publique. Des critiques qui sont de toute évidence prises en compte à Kensington. Quelques semaines plus tard, le palais publie une annonce pour…recruter un nouvel assistant en communication. Et surtout, le couple héritier va reprendre les choses en main.
Acte 3: le dynamitage
«C’est tout simplement du jamais vu!» Les mots sont forts, et ils sont de Richard Fitzwilliams, commentateur britannique spécialisé dans la royauté, auprès de l’AFP. Le 10 septembre, Kate Middleton vient de publier une nouvelle vidéo. Cette fois, les nouvelles sont bonnes, puisque la princesse annonce sa rémission. Mais surtout, le style est complètement différent.
Pendant trois minutes et six secondes s’enchaînent, sur une petite musique mélo, des ralentis sur des plantes, sur Kate qui marche dans la forêt ou un champ de blé, sur un pique-nique en famille ou un (chaste) baiser échangé avec William. Le tout ressemble plus à un spot publicitaire pour un SUV électrique ou des œufs bio qu’à une communication royale. Pour Richard Fitzwilliams, cette vidéo «extraordinaire» est «destinée à un public jeune et connecté».
Elle témoigne surtout d’une volonté de Kate Middleton de reprendre en main le narratif de sa propre histoire. Sa voix-off feutrée, ces images qui ressemblent à un film de famille, tout se veut plus personnalisé. En communiquant ainsi, le couple princier entend «totalement contrôler ses relations avec les médias», analyse auprès de l’AFP Rob Jobson, auteur d’une biographie de la princesse Kate.
De la com’ de publicité pour biscuits
Et pourtant, cette vidéo est-elle réellement parlante pour ce fameux «public jeune et connecté»? À l’heure où la demande est à l’authenticité, ce qui s’apparente à un clip ultra-léché a de quoi laisser froid. Dans «Le Guardian», l’éditorialiste Hilary Osborne, qui a elle aussi eu un cancer, met les pieds dans le plat: «J’essaie d’imaginer à quoi aurait ressemblé le film annonçant ma propre rémission. Probablement plus à la bande-annonce d’un film de zombies qu’à une pub pour des biscuits.»
Certes, Kate Middleton raconte que la maladie l’a mise devant ses «propres vulnérabilités». Mais la suite est un peu trop guimauve pour convaincre. «Cette période nous a surtout rappelé, à William et à moi, de réfléchir et d’être reconnaissants pour les choses simples mais importantes de la vie, que beaucoup d’entre nous considèrent souvent comme acquises. D’aimer et d’être aimé, tout simplement.»
Pour Shani Orgad, professeure à la London School of Economics, la communication de la princesse reste «vague». «Le décor de conte de fées avec cette campagne anglaise idyllique n’a peu ou prou rien à voir avec la façon dont les patients atteints de cancer parlent de leur maladie», explique la spécialiste à l’AFP. Hilary Osborne abonde: «J’ai trouvé ce film agaçant de diverses manières. Il m’était tellement impossible de m’identifier que j’ai regretté de l’avoir regardé.» Après son commentaire dans «Le Guardian», de nombreuses lectrices ont écrit au journal pour partager le même (res)sentiment à l’égard d’une vision idéalisée de la bataille contre la maladie.
La ringardise de la perfection
Même «extraordinaire» au sens strict du terme, c’est-à-dire inhabituelle par rapport à ce que montre la monarchie britannique en temps normal, la communication de Kate Middleton n’est pas franchement moderne. De la même manière qu’apparaître debout avec un petit teint frais quelques heures seulement après avoir donné naissance à son enfant n’est en rien représentatif de ce que vivent les femmes tout juste mères, se filmer au ralenti dans les champs en robe à fleurs avec une chevelure impeccable à la fin de sa chimiothérapie ne donne pas une image réaliste de ce qu’est la maladie. En coulisse, une armée de cinquante personnes travaillent aux relations publiques du couple. Chaque photo est réfléchie, pensée, et l’image renvoyée est toujours la même: celle de la famille qui a certes des difficultés – Kate s’est déjà confiée dans un podcast sur ses nausées matinales lorsqu’elle était enceinte – mais reste quand même proche de la perfection.
Bien sûr, la princesse de Galles a essayé d’insuffler avec son mari l’image d’une monarchie rajeunie, plus «cool» que les générations précédentes, notamment en prenant exemple sur sa défunte belle-mère, la princesse Diana. Comme elle, Kate Middleton prend des bains de foule et des enfants sur les genoux lors de ses déplacements. Mais ce qui était avant-gardiste dans les années 1990 l’est-il toujours trente ans plus tard? Le droit à une authentique imperfection (qui irait au-delà des nausées matinales pendant la grossesse) serait peut-être la meilleure preuve de modernité.