Kiev et Moscou se tiennent mutuellement responsables de la destruction du barrage de Kakhovka dans la nuit de lundi à mardi. La Russie a pourtant un gros problème en moins – et l'Ukraine quelques problèmes en plus.
Lors d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU à New York, l'ambassadeur ukrainien Serhij Kyslyzja a parlé mardi d'un «acte de terrorisme écologique et technologique». Le dynamitage est «un nouvel exemple du génocide perpétré par la Russie contre les Ukrainiens».
Sur la Russie et l'Ukraine
L'ambassadeur russe à l'ONU, Vassili Nebenzia, a rétorqué que l'incident était dû à un «sabotage délibéré de Kiev» et devait être classé comme un crime de guerre. Le barrage a été utilisé pour commettre un «crime inimaginable».
Parallèles avec Nord Stream
Les parallèles avec le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 le 26 septembre 2022 sautent aux yeux. La question de la responsabilité dans l'explosion sur les pipelines sous la mer Baltique reste tout aussi confuse. Qui était responsable? Selon une nouvelle enquête du «Washington Post», des pistes mènent à l'Ukraine. La CIA aurait eu connaissance d'un plan ukrainien pour un tel attentat dès juin 2022, soit trois mois avant les explosions présumées.
Dans le cas du barrage de Kakhovka, qui aurait quelles motivations? A qui l'inondation de vastes zones en guerre profiterait-elle davantage? L'Ukraine contrôle la rive occidentale du Dniepr, la Russie la rive orientale. Cette dernière est en de nombreux endroits un peu plus basse que la rive occidentale et devrait donc subir des inondations encore plus importantes.
Sur le terrain, donc, les Russes seraient également désavantagés par le sabotage du barrage. Mais en ce moment, ces derniers sont très nerveux face à la grande offensive ukrainienne qui s'annonce. Un acte de sabotage d'une ampleur gigantesque, qui n'épargnerait pas la population civile, pourrait donc être un signe de désespoir: arrêter coûte que coûte les Ukrainiens. Une mise en balance de tous les facteurs laisse donc penser que les Russes pourraient utiliser le barrage comme une arme.
Une géographie modifiée
Les plus grands bénéficiaires du désastre sont clairement les troupes d'invasion russes. Pour l'Ukraine, la destruction du barrage complique considérablement la contre-offensive prévue. Ce, pour deux raisons principales: la route qui passait au-dessus du barrage était le seul pont encore intact sur le Dniepr entre Zaporijia et la mer avec la Crimée adjacente, dont l'Ukraine espère beaucoup la reconquête. Le barrage aurait pu être utilisé comme pont pour des avancées vers l'Est, même si les risques étaient grands. Ce n'est désormais plus possible.
Deuxième revers, bien plus grave pour Kiev: les inondations qui submergent de vastes zones vont modifier dramatiquement la géographie de la partie inférieure de l'estuaire du Dniepr. En amont de la digue, le fleuve s'est étendu sur plusieurs kilomètres. En aval, il s'est rétréci à quelques centaines de mètres seulement. C'est dans ces zones qu'une éventuelle attaque par les eaux aurait été la plus réalisable.
Zone tampon et jeu sur le temps
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré tard mardi: «La catastrophe causée par les terroristes russes dans la centrale hydroélectrique de Kakhovka n'arrêtera pas l'Ukraine et les Ukrainiens». Pourtant, le Dniepr agit dorénavant comme une puissante barrière naturelle entre l'Ukraine et les envahisseurs russes. Les plans d'attaque ukrainiens correspondants deviennent d'autant plus difficiles. La traversée du Dniepr a toujours été très risquée. Elle semble désormais improbable. La rupture du barrage prive les Ukrainiens d'options importantes et crée une zone tampon pour les forces russes, avec un gain de temps.
Volodymyr Zelensky a déjà accusé les Russes en octobre de préparer une telle action de sabotage. Même si Kiev a préparé des plans de secours, la destruction du barrage et les inondations ne sont pas une bonne nouvelle pour l'Ukraine. Les masses d'eau sécurisent la rive orientale occupée par les Russes et permettent aux envahisseurs de se concentrer sur leur défense à Zaporijia, dans le Donbass et le long de la frontière au nord.
Dans ce contexte, les inondations devraient également causer d'énormes dégâts sur la rive est du Dniepr, contrôlée par les Russes. Leurs propres positions le long de la ligne de front seront probablement également inondées, obligeant les forces russes à se replier.