Mercredi, c'est le choc. Le Congrès américain à Washington adopte une loi visant à forcer un changement de propriétaire de la populaire plateforme chinoise TikTok. Et ce dans 180 jours! Dans le cas contraire, l'application sera retirée de la circulation. Le projet de loi va maintenant être transmis au Sénat américain, où les positions ne sont pas claires.
La société mère de TikTok, le géant chinois Bytedance, veut désormais empêcher cette loi par tous les moyens. La vente? La dernière option possible. L'éventuelle interdiction et ses conséquences font déjà des vagues. Sur le plan géopolitique et économique, la saga TikTok est un sujet brûlant. Et pour la Suisse? Blick fait le point.
Une interdiction de TikTok est-elle réaliste?
Une interdiction de TikTok aux États-Unis semble tout à fait réaliste, car tant la Chambre des représentants que le président Joe Biden ont montré leur soutien à des mesures dans ce sens, déclare Manuel P. Nappo, directeur de l'Institut pour le commerce numérique à la Haute école d'économie de Zurich (HWZ). «C'est un jeu de muscles entre l'Amérique et la Chine.» On le voit aussi dans l'argumentation des députés: TikTok est considéré comme un danger pour la sécurité nationale américaine. Si le Congrès américain parvient à ses fins, 170 millions d'Américaines et d'Américains seront privés de l'application.
Une interdiction du réseau social est techniquement réalisable en retirant l'application des app stores et en bloquant son utilisation aux États-Unis. Toutefois, les utilisateurs pourraient contourner de telles restrictions par des moyens tels que les VPN (réseaux privés virtuels), ce qui rendrait difficile sa totale interdiction.
La Suisse ou l'Europe pourraient-elles suivre le mouvement?
Si le Congrès américain parvient à ses fins, ce sera une première. Il servira alors de modèle à d'autres pays qui souhaiteraient également restreindre TikTok. La Suisse et l'Europe aussi? Manuel Nappo estime que cela est peu probable. «Curieusement, l'Europe est moins inquiète que l'Amérique», assure-t-il.
Mais cette affaire marque un tournant: la technologie n'est plus intouchable. Pendant longtemps, le développement des nouvelles technologies n'a pas été freiné. Mais ces dernières années, de plus en plus de barrières politiques auxquelles les entreprises doivent se conformer voient le jour. C'est notamment le cas du règlement sur l'IA récemment émis par le Parlement européen.
Quelles sont les préoccupations américaines concernant TikTok?
Le Congrès américain s'inquiète surtout des données. Il soupçonne ByteDance d'être de mèche avec le gouvernement chinois, et de transmettre les données sensibles des utilisateurs de millions de citoyens américains au gouvernement de Pékin. Un soupçon qui n'est pas sans fondement.
Pendant des années, TikTok a prétendu stocker toutes les données des utilisatrices américaines et européennes en Amérique et à Singapour. Mais les révélations de «BuzzFeed» à l'été 2022 ont mis en lumière le fait que toutes les données pouvaient également être consultées en Chine. «Tout peut être consulté en Chine», a déclaré un collaborateur de TikTok lors d'une réunion en septembre 2021. La conversation a été divulguée, les enregistrements audio sont disponibles pour «BuzzFeed».
La discussion sur les données préoccupe Katarina Stanoevska de l'Université de Saint-Gall. «Comme les données des utilisateurs atterrissent sur des serveurs chinois et que les autorités peuvent y avoir accès, il y a un risque que les données soient utilisées de manière abusive pour suivre aussi bien les utilisateurs chinois que les autres.» Seul un blocage de TikTok permettrait d'écarter complètement le risque d'abus par les autorités chinoises, a déclaré Katarina Stanoevska à Blick l'année dernière.
Qui pourrait être intéressé par TikTok?
«C'est la question à un million de dollars», estime Manuel Nappo. Car la situation de départ n'est pas simple. «Au final, il faudrait que ce soit l'un des grands acteurs, mais premièrement, ce sera cher, et deuxièmement, on assume aussi la situation géopolitique.» Le nouveau propriétaire serait donc également confronté aux tensions entre la Chine et les États-Unis. «Je ne vois pas très bien qui pourrait vouloir de cela, à part peut-être Elon Musk», poursuit l'expert.
Et puis il y a aussi la commission américaine de la concurrence. Manuel Nappo précise: «Il y a certainement des plateformes proches du modèle commercial, mais la question se pose de savoir si elles seront freinées par le lois sur les cartels en raison d'un éventuel avantage sur le marché.» Pour beaucoup, cet achat serait trop délicat et l'intérêt serait plutôt faible.
Toujours est-il que l'ancien ministre américain des Finances Steven Mnuchin a manifesté son intérêt. Il souhaite constituer un groupe d'investisseurs pour l'achat de TikTok. On ne sait pas encore qui en fera partie.
