Pénurie d'essence, black-out
Le Liban s'enfonce dans le chaos

Le Liban fait face à une pénurie d'essence, d'électricité, de pain et d'autres produits essentiels à la survie de millions d'habitants, tandis que le bilan d'une explosion d'une citerne d'essence s'alourdit d'heure en heure.
Publié: 15.08.2021 à 15:24 heures
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Dernière mise à jour: 15.08.2021 à 15:51 heures
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Des voitures et des motos s'agglutinent autour d'une station essence, dans un pays où l'essence fait cruellement défaut.
Photo: keystone-sda.ch

Les médicaments, l'électricité, l'essence, le pain: tout manque au Liban actuellement. La crise sans précédent que traverse le pays risque bien de plonger des millions de ses habitants dans le dénuement le plus total.

Depuis quelques jours, rapporte le quotidien libanais «Al-Joumhouria» cité dans le «Courrier International», le pays est plongé dans le noir quasi total, tandis que sévit une canicule implacable. Sur Twitter, le témoignage poignant du trompettiste et jazzman Ibrahim Maalouf a de quoi émouvoir: «L’explosion du 4 août 2020 a achevé Beyrouth, mais l’explosion qui se passe actuellement va achever le Liban.»

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La crise économique qui frappe le Liban menace en effet tout son approvisionnement: faute de liquidités étrangères, le pays peine à acheter de l'essence et du fioul pour alimenter ses centrales électriques.

Samedi, le gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé avait refusé de revenir sur une récente décision de lever les subventions sur les carburants, qui fait craindre une flambée des prix. «Je ne reviendrai pas sur (cette décision) (...) à moins que l'usage des réserves obligatoires (de devises) ne soit légalisé», a-t-il déclaré au micro d'une radio locale. Les réserves de la BDL ont fondu tandis que la livre libanaise a perdu plus de 90% de sa valeur face au dollar, rendant les coûts d'importation plus onéreux. Le billet vert s'échange aujourd'hui sur le marché noir à plus de 20'000 livres, contre un taux officiel maintenu à 1507 livres.

L'une des plus grandes centrales électriques du pays s'est éteinte il y a quelques jours. Entre temps, l'essence qui est censée alimenter les générateurs de particuliers, habitués aux velléités du réseau électrique central, manque. Plusieurs établissements ont dû fermer leurs portes, faute de diesel pour alimenter les générateurs privés, tandis que les pannes de courant culminent à plus de 22 heures par jour.

Le secteur de la santé en péril

Les médicaments font cruellement défaut dans les pharmacies: leurs prix ont explosé. Les hôpitaux devront bientôt cesser de fonctionner, faute d'électricité. L'hôpital public de la capitale ne tourne qu'à l'aide de deux générateurs sur sept, rapporte BFM TV. L'hôpital de l'Université américaine de Beyrouth (AUBMC), l'un des principaux hôpitaux privés du pays, a mis en garde samedi contre un «désastre imminent»: il se verra contraint de cesser ses activités dans les 48 heures s'il n'obtient pas de carburant.

«40 adultes et 15 enfants, sous respirateurs, mourront immédiatement», s'est alarmé l'AUBMC dans un communiqué. «180 personnes souffrant d'insuffisance rénale mourront intoxiquées après quelques jours (...). Plusieurs centaines de malades de cancer, adultes et enfants, décèderont dans les semaines qui viennent.»

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Le Liban risque de retomber brutalement à l'âge de pierre, conclut amèrement le «Courrier International», tandis que le réalisateur et journaliste Arthur Sarradin, qui rapporte heure après heure l'effondrement de la société libanaise, ne pourra bientôt plus informer ses followers sur Twitter, faute d'électricité et de connexion internet.

Une explosion qui a fait 28 morts

C'est dans ce climat de désespoir qu'au moins 28 personnes ont été tuées et près de 80 blessées dans la nuit de samedi à dimanche par l'explosion d'une citerne d'essence. Cette dernière s'est produite dans la région du Akkar, dans l'extrême nord du pays, d'après la Croix-Rouge libanaise et les médias. L'armée libanaise s'était déployée samedi dans des stations-service pour faire face aux pénuries de plus en plus aiguës en combustible.

«Nos équipes ont évacué 20 cadavres (...) depuis le lieu de l'explosion (...) vers les hôpitaux de la région», a indiqué la Croix-Rouge sur Twitter, précisant que 79 personnes avaient aussi été blessées. Le Ministère de la Santé a ensuite fait état de 28 morts, dans un nouveau bilan. L'agence nationale d'information (ANI) a indiqué qu'une citerne confisquée par l'armée avait explosé après des heurts entre des résidents qui s'étaient attroupés pour se procurer de l'essence. L'armée n'était pas présente sur les lieux, a-t-elle ajouté.

«Plus de visage, plus de bras»

Les images circulant sur les réseaux sociaux montrent des scènes atroces. Au moins sept corps et des dizaines de personnes brûlées ont été transférés dans un hôpital du Akkar, a indiqué un employé, Yassine Metlej. Mais «les cadavres sont tellement carbonisés qu'on ne peut pas les identifier», a-t-il révélé à l'AFP. «Certains n'ont plus de visage, d'autres plus de bras». L'hôpital a dû refuser la plupart des blessés car il n'est pas équipé pour soigner les grands brûlés, a-t-il encore ajouté.

Certaines victimes ont été emmenées à 25 km de là, à l'hôpital Al-Salam de Tripoli, le seul de la région équipé pour prendre en charge des personnes grièvement brûlées.

Un sentiment de déjà-vu

L'ancien premier ministre Saad Hariri a comparé l'explosion à celle qui a ravagé le port de Beyrouth le 4 août 2020, tuant plus de 200 personnes et détruisant des pans entiers de la capitale. «Le massacre du Akkar n'est pas différent du massacre du port», a-t-il écrit sur Twitter. «Si ce pays respectait son peuple, ses responsables démissionneraient, du président jusqu'à la toute dernière personne responsable de cette négligence», a-t-il ajouté.

Le président Michel Aoun a appelé la justice à ouvrir une enquête sur les circonstances ayant conduit à l'explosion. Celle du port de Beyrouth n'a abouti à aucun résultat à ce jour. Le ministre intérimaire de la Santé, Hamad Hassan, a ordonné à tous les hôpitaux du pays «d'accueillir les blessés de cette douloureuse tragédie aux frais du ministère».

Effondrement économique de longue date

Le pays est englué dans l'une des pires crises économiques au monde depuis 1850, selon la Banque mondiale. L'effondrement économique du Liban, qui a commencé fin 2019, se double d'une crise politique sans fin: le gouvernement sortant a démissionné au lendemain de l'explosion du port de Beyrouth en 2020, et les différentes forces politiques se sont montrées incapables à ce jour d'en former un nouveau, malgré les pressions internationales.

Carburant pris d'assaut

Des queues interminables se sont formées samedi devant les stations-service tandis que des camions de distribution de carburant étaient pris d'assaut par des citoyens en colère, selon des médias locaux. Certaines stations-service ont fermé pour conserver leur stock de carburant en attendant une hausse des prix.

Selon des correspondants de l'AFP, des soldats déployés en masse aux stations-essence ont forcé en début d'après-midi l'ouverture de plusieurs d'entre elles au nord de Beyrouth et ailleurs. L'armée a révélé avoir saisi plus de 78'000 litres d'essence stockés dans deux stations-service ainsi que 57'000 litres de diesel dans une troisième. Elle a partagé des images sur les réseaux sociaux montrant des soldats remplissant eux-mêmes les réservoirs des véhicules. (daj/ats)

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