215 morts, 6500 blessés, 300'000 personnes sans-abri. Le Liban tremble encore au souvenir de la gigantesque explosion dans le port de Beyrouth. Les ruines des deux silos dans lesquels étaient stockées les 2750 tonnes de nitrate d'ammonium se dressent aujourd'hui comme un mémorial dans la zone dévastée. Les environs du port désolent tout autant: des débris, un bateau gisant dans l'eau sur le côté comme un cadavre. Comme si l'explosion datait d'hier.
Les Libanais ont du mal à faire le ménage. Qui va le faire? Un gros manque d'argent les empêche d'oublier. De plus, personne n'a encore été désigné comme responsable de la catastrophe. Pour de nombreux Libanais, c'est bien clair: il s'agit de l'élite corrompue, qui s'en met plein les poches en gouvernant. Les habitants de Beyrouth sont descendus dans la rue précisément pour cette raison: l'explosion a aussi fait surgir leur rage. Ils veulent désormais qu'on leur rende justice.
Dans ce contexte, une controverse a également émergé au sujet des ruines du silo: certains veulent démolir cette horreur aussi vite que possible pour passer à autre chose tandis que d'autres désireraient la laisser debout tel un mémorial. Mais ces deux silos, d'environ 50 ans et 48 mètres de haut, sont-ils vraiment stables?
Déjà incliné de 45 centimètres
Emmanuel Durand, ingénieur au sein de la société genevoise Amann Engineering, a contrôlé la statique des silos l'année dernière à l'aide de scanners laser. Il mesure en permanence leur mouvement sur place avec des appareils de haute précision. Au téléphone, le Français rapporte à Blick: «Le bloc nord s'incline presque cent fois plus vite que la tour penchée de Pise avant qu'elle ne soit stabilisée».
L'inclinaison du monument italien était de cinq millimètres par an jusqu'en 2001. Le bloc nord, qui fait face au cratère de 43 mètres de profondeur, s'est incliné par lui-même de 45 centimètres depuis l'explosion. En revanche, le bloc sud, même s'il est endommagé, reste stable. Ce dernier avait été construit un an après le bloc nord.
«Monsieur Silo» est bénévole
L'ingénieur s'est rendu à Beyrouth après l'explosion pour travailler bénévolement comme expert sur l'analyse structurelle des bâtiments endommagés. Comme il s'y connaît en silos, il a rapidement attiré l'attention des autorités. Par le passé, il avait examiné ce type de réservoir étanche dans le monde entier pour Holcim, le géant des matériaux de construction basé à Rapperswil. Mission qui lui avait valu le surnom de «Monsieur Silo».
Depuis le début du mois de juillet, Emmanuel Durand est de retour au Liban, où il continue à s'occuper gratuitement des silos. Cette fois-ci, en collaboration avec l'ETH et d'autres entreprises, il a fixé des capteurs sur les ruines pour générer un système d'alarme. «Ça fonctionne comme dans une zone de glissement de terrain. On peut savoir quelques jours à l'avance si l'endroit présente un risque d'effondrement», résume-t-il.
Démolir rapidement le bloc nord
Mais pour les silos, il ne peut pas donner de chiffre précis: il ne sait pas combien de temps le bloc nord restera debout. Un tel mouvement est imprévisible, affirme-t-il, car les bases des silos ont également été endommagées. L'effondrement de cette imposante structure peut arriver rapidement.
Pour l'expert, c'est donc bien clair: le bloc nord doit être démoli au plus vite pour des raisons de sécurité. Et qu'en est-il du quartier sud? Emmanuel Durand prend un exemple tiré de la médecine: «Si l'on doit amputer la jambe droite, doit-on nécessairement enlever la jambe gauche?»
Les Libanais doivent décider
Il précise qu'il n'a pas la prétention de dire aux autorités locales ce qu'elles doivent faire: «Je mesure et ne suis là que pour informer sur des faits techniques et précis. La décision de ce qu'il faut faire avec les silos appartient aux Libanais, qui pourront compter sur mon appui».