Pendant que le Covid attirait les regards
Comment la Chine a tiré profit de la pandémie de coronavirus

Depuis des mois, le gouvernement chinois s'emploie à transformer le pays en dictature et à mettre la pression sur ses adversaires politiques, selon Alexander Görlach. Expert de la Chine et de l'éthique, l'universitaire allemand fait le point dans cet article pour Blick.
Publié: 03.01.2022 à 06:11 heures
|
Dernière mise à jour: 03.01.2022 à 06:30 heures
1/13
Alexander Görlach est professeur honoraire d'éthique et expert en démocratie. Il a vécu à Taïwan et à Hong Kong notamment.
Photo: Hong Kiu Cheng
Alexander Görlach *

Cela fait deux ans que la pandémie Covid-19 s'est déclarée. Elle était considérée au départ comme un phénomène local et lointain dans une ville de Chine, dont la plupart des gens dans le monde n'avait jamais entendu parler auparavant. Mais il n'existe aujourd'hui aucun endroit qui ait été épargné par les effets du coronavirus. Les premières victimes de la maladie ont été les habitants de Wuhan, qui ont été infectés à tour de bras. La ville a alors été bouclée et la population forcée de rester chez elle. A la vue de ces scènes, peu de gens en Occident pensaient à l'époque que de tels lockdowns étaient possibles dans les démocraties ...

Lors de l'apparition de la pandémie, le gouvernement chinois s'est rendu coupable de censure, en premier lieu envers sa propre population, en interdisant aux scientifiques et aux médecins de communiquer entre eux. Du niveau local jusqu'aux plus hautes sphères du Parti communiste chinois, la consigne était de minimiser l'incident de Wuhan. Lorsque le Dr Li Wenliang n'a pas respecté cette règle et s'est exprimé avec d'autres sur la pandémie en cours, les autorités l'ont muselé. Le médecin est mort peu après en luttant contre le virus, qu'il avait contracté en soignant des patients. Il a été célébré en héros sur l'internet chinois, ce à quoi les autorités ont rapidement mis fin.

Un virus échappé d'un laboratoire?

Le comportement du Parti communiste a permis au virus de se propager d'abord en Chine, puis dans le monde entier. Jusqu'à aujourd'hui, la dictature de Pékin refuse de travailler sur les origines du virus avec la communauté mondiale, ce qui pourrait pourtant permettre de détecter et combattre à temps les futures pandémies.

Entre-temps, de plus en plus d'indices laissent penser que le virus pourrait s'être échappé d'un laboratoire de Wuhan - on suppose toutefois qu'il s'agit d'une erreur humaine et non d'un acte intentionnel. Mais comme cela n'a pas été prouvé, la version initiale, selon laquelle le virus aurait pu passer de l'animal à l'homme sur un marché de la ville, reste la théorie la plus probable.

La Chine devient telle que Xi Jinping la conçoit

Pékin a profité de la pandémie pour resserrer les rênes partout dans sa zone d'influence, réduire les libertés des gens et achever la mise au pas de la société. Dans le sillage du Covid, la très controversée «loi sur la sécurité» de Hong Kong, contre laquelle jusqu'à 2 millions de Hongkongais avaient manifesté, a été adoptée. Cette «loi» a pour effet de supprimer toute forme de démocratie et de liberté d'expression dans la métropole financière.

Au sein de la République populaire, tous les domaines de la vie publique ont été subordonnés ces deux dernières années aux directives du dirigeant Xi Jinping. Celui qui joue trop longtemps à des jeux vidéo peut être puni. Si un homme a l'air trop «efféminé» et «trop féminin» aux yeux de Xi, il ne peut plus être vu au cinéma, à la télévision ou au théâtre. Les femmes qui, comme la célèbre joueuse de tennis Peng Shuai, s'opposent aux abus en République populaire, disparaissent de la scène pendant des semaines. En d'autres termes, il a complètement transformé la Chine en dictature.

Pékin menace massivement ses voisins

Il ne faut pas oublier de mentionner le génocide perpétré par Pékin contre la minorité ouïghoure. Pendant la pandémie, plus d'un million d'hommes auraient été enfermés dans des camps de concentration dans la province nord-ouest du Xinjiang. Parallèlement, toute la région est massivement surveillée, des soldats chinois sont logés dans des maisons privées, des échantillons génétiques sont prélevés sur tous les habitants. De plus, le Parti communiste obligerait les femmes à avorter afin de contrôler le taux de natalité des Ouïghours. Les personnes qui ont fui le pays rapportent que les viols sont monnaie courante.

Alors que le monde était occupé à lutter contre la pandémie qui a pris naissance en Chine, Pékin menaçait aussi massivement ses voisins. En mai 2020, une bataille a eu lieu à la frontière avec l'Inde, au cours de laquelle des soldats sont morts des deux côtés. Dans cette région, Pékin fait valoir des revendications territoriales. La chaîne de l'Himalaya, à laquelle se rattache également le Tibet occupé par la Chine, est stratégiquement importante, car Pékin veut s'y assurer des réserves d'eau potable face au changement climatique. Par ailleurs, les tensions avec le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et Taïwan se sont durcies au cours des deux dernières années. La Chine souhaite s'approprier l'ensemble du Pacifique occidental afin de contrôler le commerce mondial qui y transite et de pouvoir ainsi exercer un chantage sur le reste du monde.

Moscou-Pékin, terreur sur 2022

Xi Jinping a consolidé son alliance avec la Russie pendant les années de pandémie. Vladimir Poutine protège son ami et confirme sa revendication de pouvoir sur Taïwan. L'armée russe entraîne l'armée chinoise pour lui apprendre à conquérir des pays étrangers. Il est à craindre que les deux dictateurs frappent en même temps: Poutine envahit l'Ukraine, Xi entre à Taiwan. Les deux dirigeants comptent sur le fait que le monde libre ne prendra pas le risque d'une guerre.

Sous ces auspices, 2022 risque de devenir une «Annus horribilis», une année de terreur. Le nouvel axe du mal se situe entre Pékin et Moscou. Dans le sillage de Xi, qui dispose de la deuxième armée et de la deuxième économie du monde, Poutine, dont le pays n'a rien d'autre à offrir que du gaz et un arsenal nucléaire d'un autre temps, acquiert lui aussi une nouvelle force. Pour le monde libre, le vieil adage se vérifie: le plus pieux ne peut pas vivre en paix si cela ne plaît pas au méchant voisin.

Il ne faut pas oublier qu'il existe partout dans le monde des «hommes de bonne volonté», y compris en Chine et en Russie. Il y a une façon d'éviter une escalade totale du conflit: les gens du monde libre doivent éviter de tomber dans le piège de Monsieur Xi en déclarant ennemis tous les Chinois. Cela ne pourrait être que du goût d'une personne qui est prête à déclarer la guerre au monde entier.

* Alexander Görlach est actuellement Senior Fellow au Carnegie Council for Ethics in International Affairs, à New York.

(Adaptation par Yvan Mulone)


Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la