L'Observatoire syrien des droits de l'homme a fait état samedi de plus de 300 civils alaouites tués depuis jeudi dans l'ouest du pays par les forces de sécurité syriennes et des groupes alliés, déployés pour combattre des fidèles du président déchu Bachar al-Assad.
Ces violences sont les premières de cette ampleur depuis la prise de pouvoir le 8 décembre en Syrie d'une coalition rebelle emmenée par le groupe islamiste radical sunnite Hayat Tahrir al-Sham, HTS. Elles ont éclaté jeudi après plusieurs jours de tensions dans la région de Lattaquié, un bastion de la minorité musulmane alaouite, dont est issu le clan Assad.
Exécutions et pillages
Selon un nouveau recensement de l'OSDH, au moins 340 civils alaouites, dont des femmes et enfants, ont été «tués par les forces de sécurité et des groupes alliés» depuis lors dans la zone côtière du pays et les montagnes près de Lattaquié. L'ONG, basée au Royaume-Uni et disposant d'un vaste réseau de sources en Syrie, pointe des «exécutions sur des bases confessionnelles ou régionales» assorties «de pillages de maisons et de biens.»
Ce recensement porte le bilan de l'escalade dans l'ouest syrien à au moins 553 morts, dont 93 membres des forces de sécurité et de groupes alliés et 120 combattants fidèles du président déchu, selon la même source. L'ODSH a signalé samedi un «retour au calme relatif» dans la zone, tout en précisant que les forces de sécurité poursuivaient leur «ratissage dans les zones où se retranchent les hommes armés».
Une source du ministère de la Défense rapportée par l'agence officielle Sana a indiqué que «les routes menant à la région côtière ont été fermées afin de contrôler les infractions, prévenir les exactions et rétablir progressivement la stabilité dans la région».
Défi de taille pour le nouveau pouvoir
Tôt samedi, Sana a rapporté que les forces de sécurité avaient repoussé «une attaque menée par les résidus du régime déchu» visant l'hôpital national dans la ville de Lattaquié. Le rétablissement de la sécurité est le principal défi pour le nouveau pouvoir syrien, après plus de 13 ans de guerre civile.
Le président syrien par intérim, Ahmad al-Chareh, a appelé vendredi soir les insurgés alaouites à «déposer les armes avant qu'il ne soit trop tard». «Nous continuerons à oeuvrer au monopole des armes entre les mains de l'Etat», a-t-il ajouté dans un discours.
Escalade de violence
L'escalade s'est enclenchée après une attaque sanglante de fidèles de Bachar al-Assad contre des forces de sécurité dans la ville côtière de Jablé dans la nuit de jeudi à vendredi, selon les autorités. Les forces de sécurité ont envoyé le lendemain des renforts et lancé d'importantes opérations de ratissage dans la région.
Des témoignages sur des exactions contre les civils alaouites, que l'AFP n'a pas été en mesure de vérifier indépendamment, se multiplient sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook, émanant de proches ou amis des victimes. Une militante a écrit que sa mère et ses frères et soeurs avaient été «tous massacrés dans leur maison», tandis que des habitants de Banyas dans la province de Tartous plus au sud ont lancé des appels urgents à une intervention pour les protéger.
Des images diffusées par Sana montraient samedi ce qu'elle décrit comme un convoi de forces de sécurité entrant à Banyas. L'OSDH et des militants ont publié vendredi des vidéos montrant des dizaines de corps en vêtements civils empilés dans la cour d'une maison, des femmes pleurant à proximité. Dans une autre séquence, des hommes en tenue militaire ordonnent à trois personnes de ramper en file, avant de leur tirer dessus à bout portant. L'AFP n'a pas pu vérifier ces images de manière indépendante.
Représailles
Une source sécuritaire citée par Sana avait fait état vendredi d'«exactions isolées», les imputant à des «foules (...) non organisées» agissant en représailles à «l'assassinat de plusieurs membres des forces de police et de sécurité» par des «fidèles à l'ancien régime».
L'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, s'est dit «profondément alarmé», exhortant toutes les parties à «la retenue», un appel également lancé par Berlin et plusieurs capitales de la région. Moscou, qui a accueilli son ex-allié Bachar al-Assad, a appelé les dirigeants syriens à «stopper le bain de sang».
Selon Aron Lund, du centre de réflexion Century International, la flambée de violences témoigne de la «fragilité du gouvernement», dont une grande partie de l'autorité «repose sur des jihadistes radicaux qui considèrent les alaouites comme des ennemis de Dieu».
Depuis son arrivée au pouvoir, Ahmad al-Chareh s'efforce de rassurer les minorités et a appelé ses forces à faire preuve de retenue et éviter toute dérive confessionnelle, mais cette ligne n'est pas nécessairement partagée par l'ensemble des factions qui opèrent sous son commandement, et forment aujourd'hui «l'armée et la police», selon Aron Lund.