Fact-checking de Pâques en 5 questions
Mort de Jésus: pas de corps, pas de crime?

Des controverses entourent la mort de Jésus, dont la résurrection est célébrée à Pâques. De manière terre-à-terre, on peut par exemple se demander où est passé son corps. Pour Blick, l'historien Jean-Jacques Aubert tranche les polémiques. Mode «Da Vinci Code» enclenché!
Publié: 15.04.2022 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 03.04.2023 à 09:54 heures
Les récits bibliques sur la vie et la mort de Jésus sont parfois sujets à interprétation: les Monty Python en avaient offert une lecture humoristique dans leur film «La Vie de Brian» (image tirée d'une scène).
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Amit JuillardJournaliste Blick

Cet article est initialement paru le 15 avril 2022, nous le republions à l'occasion du week-end de Pâques.

Lapin de Pâques immortel et œufs durs bariolés peuvent rimer avec chasse aux fake news entourant la mort de Jésus, personnage historique bien réel, commémorée le Vendredi saint. Comme pour sa naissance, les chroniques bibliques ne sont pas toujours plausibles ni vérifiables.

A-t-il succombé au printemps? Comment la date de Pâques a-t-elle été choisie, 300 ans plus tard? Est-il vraiment décédé à Jérusalem ou plutôt en Inde? Où est son corps? A-t-il été crucifié ou lapidé? Les Juifs sont-ils vraiment responsables de son trépas, comme le soutiennent les quatre évangélistes? Jésus et ses apôtres étaient-ils vraiment non violents?

Pour répondre à ces questions, Blick a fait appel au Robert Langdon («Da Vinci Code», ça vous parle?) romand. Bande-annonce: dans un haletant récit, Jean-Jacques Aubert, professeur d’histoire ancienne à l’Université de Neuchâtel, ancien député écologiste au Grand Conseil du même canton, analyse plusieurs hypothèses et souligne les imprécisions historiques. Pas de quartier!

«Il ne faut pas oublier que ces quatre Évangiles canoniques étaient extrêmement polémiques et cherchaient à démontrer la dimension messianique de Jésus», avertit le président de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales, qui les a lus et relus, y compris en grec, sans oublier les apocryphes. En d'autres termes, il fallait convaincre les Juifs que Jésus était le messie tant attendu.

Jean, Matthieu, Luc et Marc, c’est une affaire de pouvoir et de politique, en somme. «Tout un pan devait servir à la réalisation des prophéties de l’Ancien Testament. Et ces écrits apparaissent bien après la mort de Jésus.» À un moment, donc, où le christianisme se cherchait de nouveaux adeptes et voulait supplanter le judaïsme. Mais, vous le verrez, tout n’est pas à jeter pour autant…

1. Jésus est-il vraiment mort au printemps?

Il est très probable que Jésus ne soit pas né en décembre. Mais est-il mort au printemps? «Oui, je pense qu’on est juste, répond Jean-Jacques Aubert. Rappelons que le dimanche des Rameaux (ndlr: une semaine avant celui de Pâques) coïncide avec l’arrivée de Jésus à Jérusalem pour les célébrations de la Pâque juive (ndlr: sans «s», célébrant l’Exode hors d’Égypte). Et dans ce contexte festif, où beaucoup de monde descend des campagnes, il est plus facile pour les autorités de mettre la main sur les agitateurs… L’idée qu’une personne charismatique comme Jésus vienne en ville puis se fasse liquider est assez plausible, c’est arrivé à d’autres.»

Quid de la date de sa mort, et donc de Pâques? «Nous savons que nous pouvons relier le décès de Jésus à l’administration de Pontius Pilatus (Ponce Pilate, dans sa forme francisée), préfet de Judée entre 26 et 36, et donc avec les années 30 de notre ère. Mais il est impossible de savoir si c’était en 33 ou en 36. Les livres des Annales de Tacite (ndlr: historien romain) qui parlaient de cette période ont été perdus.»

Décision sous la pression des Alexandrins (c’en est un…)

Comment ce jour a-t-il finalement été fixé? Dans l’histoire antique, il y a eu débat, explique le Neuchâtelois: «On se demandait s’il fallait calquer les fêtes de Pâques chrétiennes sur la Pâque juive, à un jour fixe du mois lunaire, ou s’il fallait absolument que ça tombe sur un dimanche.»

Au début, la date était celle de la Pâque juive. Et puis, changement radical en 325, sous le règne de l’empereur romain Constantin. Pour des raisons politiques. «Au départ, il s’agissait de faire coïncider les deux pour créer un amalgame. Et lors du concile de Nicée, il est décidé, sous les pressions des Alexandrins, de s’éloigner de la Pâque juive dans le but de montrer que le vrai judaïsme est le christianisme.» Depuis, les célébrations de Pâques ont toujours lieu un dimanche entre le 21 mars et le 25 avril.

2. Sa vie a-t-elle pris fin à Jérusalem ou au Cachemire?

Certains récits, comme celui du mouvement réformiste musulman Ahmadi, prétendent que Jésus n’est pas mort sur la croix à Jérusalem, qu’il a survécu et qu’il est mort à 120 ans à Srinagar, dans le Cachemire indien. En 1984, le controversé journaliste russe Nicolas Notovitch avait soutenu une thèse similaire après un voyage au Ladakh, non loin de là.

Pour le professeur Jean-Jacques Aubert, il est clair que Jésus est mort sur la croix à Jérusalem.
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Qu’en dit le professeur d’histoire antique neuchâtelois? «C’est de la fiction, coupe Jean-Jacques Aubert. Ni les sources chrétiennes, ni les sources juives ou romaines n’ont retenu une version où il ne serait pas mort à Jérusalem.» Ça a le mérite d’être clair.

3. Pas de corps, pas de crime?

Personne n’a jamais retrouvé le corps de Jésus. Ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas mort… ou ressuscité. «Effectivement, ça dépend si l’on construit sa spiritualité autour de la résurrection du Christ ou non, amorce Jean-Jacques Aubert. D’un point de vue historique, l’hypothèse la plus plausible est que ses disciples ont fait disparaître son corps pour faire croire qu’il était ressuscité.»

4. A-t-il été crucifié ou lapidé?

Comment Jésus est-il mort et à quel moment exactement? Plusieurs versions s’affrontent. «Pour l’historien que je suis, le plus simple est de suivre le récit des quatre évangélistes, concède Jean-Jacques Aubert. Ils sont crédibles puisqu’on sait que Jésus était déjà très affaibli par les mauvais traitements au moment d’être crucifié, avec d’autres. Il est donc plausible qu’il soit mort sur la croix. Tous les témoignages vont dans ce sens. Il n’y a pas de raison de penser qu’ils aient menti sur ce point.»

Et, oui, au contraire de ce qu’a affirmé un chercheur danois, les Romains pratiquaient bel et bien la crucifixion. «Les autorités religieuses juives aussi», précise-t-il.

Mais on pourrait imaginer une autre fin. «Certains historiens disent qu’il aurait plutôt été lapidé comme son frère Jacques parce qu’il a été condamné pour blasphème, développe l’ancien vice-recteur de l’Université de Neuchâtel. D’un point de vue purement juridique, la crucifixion ne tient pas forcément: c’était le châtiment ultime et cela demandait du matériel. Pour les Romains, il aurait été plus simple de le décapiter, comme ils l’ont fait à d’autres martyrs chrétiens.»

«C’était le sort réservé aux rebelles»

Une source juive pourrait appuyer cette lecture. «Cet écrit suggère que Jésus aurait en fait été proche des Romains, raconte l’historien. Or, si c’était un allié des Romains, ces derniers n’auraient eu aucun avantage à le présenter comme un hors-la-loi en le crucifiant, peine utilisée pour signifier la non-appartenance au groupe.»

Pourquoi? «S’il y a véritablement eu crucifixion, cela signifie que les Romains ont finalement considéré Jésus comme un rebelle, dont les prétentions messianiques devaient être éradiquées.»

Alors, crucifié ou pas? Le professeur maintient sa position: «D’un point de vue romain comme juif, la crucifixion de Jésus a du sens. C’était le sort réservé aux rebelles et il en était assurément un aux yeux de certains.»

5. Est-ce la faute des Juifs, comme le prétendent les Évangiles?

Pour Jean-Jacques Aubert, c’est une question centrale, tant ses implications ont été graves. «Ce qui ressort des quatre Évangiles canoniques reconnus comme tels entre le IIe et le IVe siècle, et c’est une simplification monumentale, c’est que Jésus est mort à l’incitation des Juifs, déplore l’actuel président de l’Académie suisse de sciences humaines et sociales. Ils soutenaient cela par pur intérêt politique et religieux. C’est un facteur important dans l’antisémitisme contre ceux qu’on désignait encore naguère comme un 'peuple déicide', un préjugé qui a traversé toute l’Histoire et qui a aussi été utilisé comme justification à la Shoah.»

La réalité semble avoir été plus complexe. «L’autorité romaine doit aussi être impliquée, explique-t-il. Elle a été appelée à contribuer et cela aurait été un vrai risque pour elle de ne pas prendre de décision.» Pourquoi? «Si Jésus et ses partisans étaient véritablement des séditieux, ne pas sévir contre eux aurait pu être interprété par l’empereur Tibère comme un acte de trahison de la part de Ponce Pilate, son représentant en Judée et le garant du maintien de l’ordre. La province de Judée est alors toute récente (ndlr: 6 après. J.-C.) et pas entièrement pacifiée.»

Jean qui ment

Un Évangile est habituellement considéré comme un peu plus crédible que les autres sur ce sujet: celui de Jean. «D’un point de vue procédural, il parle des autorités religieuses juives, d’une population locale, composée de Juifs, de Nabatéens, de Samaritains et d’autres, manipulée, puis d’une intervention romaine, qui prend cette décision pour se protéger.»

Une partie du texte est cependant à rejeter selon lui: «D’après ce récit, Ponce Pilate essaie d’acquitter Jésus mais le condamne sous la pression des autorités religieuses juives. Ce passage a probablement été inventé.» Toujours dans le but de pointer les mêmes responsables, à des fins politiques.

6. Jésus et ses apôtres, pas si non violents?

Jésus comme ses disciples sont souvent présentés comme des personnes non violentes. Mais il y a un hic. «Dans chacun des quatre Évangiles, l’entourage de Jésus est armé au moment de son arrestation, note Jean-Jacques Aubert. Jean raconte que Pierre a coupé l’oreille d’un serviteur du grand prêtre. Ces récits pourraient expliquer pourquoi, aux yeux de certains de ses contemporains, Jésus était considéré comme un chef de bande…»

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