C’est une date gravée dans l’histoire infamante de la France. Le 16 juillet 1942, à partir de quatre heures du matin, Paris devient synonyme de mort et d’extermination pour des milliers de juifs d’origine étrangère.
Ce jour-là, avant l’aube, l’heure n’est plus seulement au port atroce de l’étoile jaune, imposée par le régime de Vichy aux ordres des Nazis. Les policiers français, les autobus de la municipalité, les fonctionnaires parisiens des mairies d’arrondissement deviennent tous des auxiliaires de la Shoah, dont beaucoup à l’époque ne connaissent pas l’existence.
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Des milliers de juifs parqués puis déportés
La rafle du Vélodrome d’Hiver des 16 et 17 juillet 1942 conduira des milliers de juifs d’origine étrangère, le plus souvent venus d’Europe de l’est pour fuir la botte hitlérienne, à se retrouver parqués, puis embarqués dans des camps de regroupement, et déportés vers les camps d’extermination.
La France se déshonore. La clandestinité devient l’unique possibilité de survie pour les juifs qui réchappent à la rafle, dénoncés par leurs voisins, leurs concierges, leurs employeurs, leurs salariés parfois. La République, trahie par le maréchal Pétain et souillée dans la politique de collaboration avec l’occupant nazi, plonge dans la nuit et le brouillard.
Nuit et brouillard
Nuit et brouillard ou «Nacht und Nebel». Tel est le nom de code donné par les séides d’Hitler à l’extermination des juifs d’Europe. Et voilà que Paris, synonyme jusque-là de liberté et d’émancipation pour tous les opprimés et les réfugiés du monde, en devient l’instrument. Huitante ans plus tard, la mémoire reste à vif, justement alimentée par les témoignages des survivants qui se savent près de disparaître et veulent laisser aux générations suivantes la preuve que l’impensable a existé.
Ce dimanche 17 juillet, Emmanuel Macron sera à Pithiviers, dans le département du Loiret proche de Paris, où il inaugurera un nouveau lieu de mémoire de la Shoah dans l’ancienne gare SNCF – désaffectée depuis 1969 – d’où six convois sont partis vers le camp de concentration d’Auschwitz en 1942. Les paroles que le président français prononcera seront fortes, conscient que les ultimes rescapés de cette horreur ne seront bientôt plus parmi nous. Avec, en mémoire, le geste historique de son prédécesseur Jacques Chirac qui, en juillet 1995, fut le premier à reconnaître la responsabilité de l’État français et les «fautes du passé».
Complicité des institutions françaises
C’est d’ailleurs sur ce point que les derniers survivants, sauvés lorsqu’ils étaient enfants par leurs parents, leurs familles ou des proches qui les mirent à l’abri loin de Paris, au sud de la ligne de démarcation qui coupait alors la France en deux, insistent le plus souvent. La rafle du Vel' d’Hiv' ne fut pas un acte atroce des autorités nazies qui, bien sûr, exigeaient du régime de Vichy qu’ils leur livrent les juifs, étrangers d’abord et français ensuite (75’000 d’entre eux ont été déportés, pour une population estimée à 300’000 personnes au début de la guerre). Elle fut commise, ordonnée, conduite par des Français, parfois un uniforme de policiers.
La France? Oui, mais à condition, disent la plupart des survivants, de ne pas oublier l’autre versant du pays. Le versant incarné par ces Français qui refusèrent de les dénoncer, ces policiers qui prévinrent les familles, ces paysans et villageois qui, en province, acceptèrent de cacher les enfants pendant le reste de la guerre. Deux France se firent face, ces 16 et 17 juillet 1942, comme le raconte l’historien Laurent Joly dans «La rafle du Vel' d’Hiv'», tout juste publié aux éditions Grasset, ou l’avocat Georges Kiejman dans ses mémoires «L’Homme qui voulait être aimé». L’horreur submergea ce jour-là le pays institutionnel. Mais beaucoup de citoyens sauvèrent, par leur courage, l’honneur de la nation.
L’administration et le peuple
L’administration compromise. Le peuple qui, pour une partie, s’engage dans la collaboration mais pour une autre, refuse d’abandonner son humanité et sauve des juifs. Tel est l’héritage, en France, de la rafle des 16 et 17 juillet 1942. Une partie des enfants juifs sauvés ces deux jours des griffes de la police française trouvèrent refuge en traversant la frontière helvétique, comme le raconte Ruth Fivaz-Silbermann dans son enquête historique magistrale «La fuite en Suisse» (Ed. Calmann Levy).
Beaucoup y vinrent après guerre, accueillis par des familles suisses et des fondations comme celle du pasteur Frank Buchman, installé au Caux Palace au-dessus de Montreux (VD).
20 ans après, le rapport Bergier
Une autre commémoration a d’ailleurs récemment permis de refaire la lumière sur l’attitude de la Suisse durant la seconde guerre mondiale, tant vis-à-vis des alliés que des nazis et des juifs: celle du 20e anniversaire du rapport de la commission d’historiens dirigé par Jean-François Bergier, publié en mai 2002.
«Il est important d’avoir une connaissance approfondie, différenciée et nuancée de l’histoire. Autrement, mythes et images stéréotypées surnagent et sont instrumentalisés» affirmait, en mai dernier, l’historien suisse Marc Perrenoud, spécialiste de cette période. C’est juste. Mais il ne faut jamais oublier ce que fut le précipice, pour l’humanité tout entière, de moments de basculement dans l’horreur comme la rafle du Vel' d’Hiv'.