L'Action pour une Suisse indépendante (ASI) est de l'histoire ancienne. L'équipe de choc de Christoph Blocher contre l'adhésion à l'Union Européenne a été dissoute ce samedi à Berne. Dans une salle qui se trouve tout près du lieu où Albert Rösti a annoncé sa candidature au Conseil fédéral.
Le conseiller national bernois UDC n'a rien à voir avec l'aile zurichoise de Christoph Blocher et avec l'ASI. Certes, Albert Rösti souligne de temps à autre l'importance de l'indépendance, parle à l'occasion d'une armée forte et met en garde contre une Suisse à dix millions d'habitants. Mais ces sujets sont plutôt secondaires chez lui. Le Bernois fait surtout de la politique de la santé et de l'énergie son cheval de bataille. C''est notamment pourquoi il est favori pour succéder au Zurichois Ueli Maurer au Conseil fédéral.
Compromis interpartis
En tant que président de la Commission de la santé du Conseil national, Albert Rösti a participé à de nombreux compromis interpartis, pandémie oblige. «Il comprend les préoccupations du camp adverse et aide à trouver des solutions communes, explique un membre de la commission. Mais surtout, il arrive ensuite à convaincre son propre parti.»
Il faut dire que c'est dans la politique énergétique qu'Albert Rösti prend véritablement son envol, même en zigzaguant. Il représente d'abord le lobby du pétrole et du nucléaire: pendant de nombreuses années, il est président de Swissoil, ainsi que de l'Action pour une politique énergétique raisonnable en Suisse (AVES), qui est favorable au nucléaire. Il lutte en 2017 contre la nouvelle stratégie énergétique et en 2019 contre la loi sur le CO2. «Greta Thunberg éclipse les véritables dangers qui existent pour la Suisse», martelait-il à l'époque.
Aujourd'hui, en tant que président de l'Association pour l'économie des eaux (AEA), il se fait pourtant le défenseur de l'électricité verte. Mais Albert Rösti est également président d'Auto-Suisse et est partisan des trois voies sur les principaux axes autoroutiers du pays.
Ce fils de paysan bernois est un homme de réseau qui tire les ficelles en coulisses - notamment au sein de la Commission de l'énergie. «Albert Rösti est un professionnel, souffle un membre de la commission. Il est clairement sur la ligne de l'UDC, mais il est capable de s'entendre au-delà des frontières du parti.»
L'exemple le plus récent est l'intégration du barrage du Grimsel dans l'offensive solaire interpartis, sous l'impulsion d'Albert Rösti. Le puissant chef de groupe UDC Thomas Aeschi s'y est opposé. Les deux collègues de parti se sont disputés si fort qu'ils ont dû être renvoyés de la salle de réunion de la Commission de l'énergie.
Finalement, c'est Albert Rösti qui a eu le dessus. Le lobbyiste de l'énergie hydraulique a obtenu le rehaussement du barrage du Grimsel, l'UDC ayant dit oui à la construction rapide d'installations solaires alpines.
Objectif: Département de l'énergie
Albert Rösti est donc le visage énergétique de l'UDC, qui a longtemps peiné sur ce terrain. Les slaloms du Bernois au Parlement et ses activités de lobbying divergentes ne lui portent pas préjudice. Lors d'une candidature au Conseil fédéral, ce ne sont pas les contradictions qui sont décisives, mais le nombre et le poids des groupes d'intérêts. Et sur ce point, Albert Rösti a une longueur d'avance considérable.
Tout comme Guy Parmelin, élu en 2015 pour représenter les agriculteurs, les employeurs et l'armée, Albert Rösti représente un concentré de la politique énergétique de presque tous les camps. Le pétrole, le nucléaire et l'énergie hydraulique sont autant de sujets porteurs au Palais fédéral.
S'il parvient au Conseil fédéral, la voie d'Albert Rösti semble toute trouvée: «Son objectif est le département de l'énergie, explique le politologue Claude Longchamp. Il se lancerait ainsi dans un domaine d'avenir central - et avec lui son parti. Pour l'UDC, ce serait un coup de maître.» Du point de vue des autres partis, il y aurait également de bonnes raisons d'avoir un ministre de l'Energie comme lui. Ceux-ci pourraient ainsi intégrer l'UDC dans le tournant énergétique.
L'organisation Grève du climat en Suisse se montre moins jouasse sur Twitter: «Nous sommes en 2022 et le représentant du pétrole veut devenir conseiller fédéral.» Mais à quoi ressemblerait vraiment le tournant énergétique sous la direction d'Albert Rösti? «En tout cas, il serait bien différent que sous Simonetta Sommaruga», affirme Claude Longchamp.
Une question demeure centrale: la sécurité d'approvisionnement est-elle possible uniquement avec les énergies renouvelables? L'UE compte désormais que l'énergie nucléaire parmi les énergies vertes. L'UDC l'a toujours considéré comme tel, et le PLR a également adopté cette position. Deux hivers avec des difficultés d'approvisionnement pourraient suffire à enflammer le débat sur de nouvelles centrales nucléaires en Suisse, affirme Claude Longchamp. «Dans ce cas de figure, le fait que le PS ou l'UDC soit à la tête du projet joue un rôle. Un conseiller fédéral ne décide pas seul, mais il pilote les processus. Albert Rösti pourrait donc bien imposer de nouvelles centrales nucléaires.»
Le plus soutenu au sein de la population
Dans une élection populaire, le Bernois passerait en force, comme le montre le grand sondage de Blick. Il jouit de loin du plus grand soutien, même au sein de l'UDC. Mais l'élection se déroulera au Conseil national et non devant le peuple. Albert Rösti devrait néanmoins y obtenir de nombreuses voix.
Encore une fois, l'homme est considéré par tous les partis comme conciliant et prêt à faire des compromis. «Il est capable de collaborer de manière transversale», déclare une conseillère nationale au centre de l'échiquier politique. Il est en outre très lisible, affirme un député de gauche: «Quand Albert Rösti défend des positions de l'UDC effarantes auxquelles il ne croit pas lui-même, son visage devient rouge.»
En 2010, Albert Rösti a manqué son élection au Conseil exécutif bernois. En 2015, sa candidature au Conseil des Etats a échoué. Lorsqu'il était président de l'UDC, le peuple a rejeté plusieurs initiatives lancées par le parti. Lorsqu'en 2019, l'UDC a également perdu des sièges au Parlement, Albert Rösti a quitté la présidence sous la pression de Christoph Blocher.
Aujourd'hui, il est de retour. «Je veux devenir conseiller fédéral», a-t-il déclaré lundi. Il a répété qu'il souhaitait s'engager pour une Suisse indépendante et sûre, tout en affirmant qu'il n'avait pas demandé la bénédiction des grands pontes du parti.
(Adaptation par Lliana Doudot)