De la pluie, en plein match de polo opposant les Noon Giraffes à l’équipe de Mount Loftus dans le très chic Cirencester Park Polo Club, au sud de l’Angleterre. Les chevaux quittent le terrain au galop, les hommes et les femmes vêtus de façon élégante quittent les gradins pour se rendre à l’Ivy Lodge, le clubhouse.
Allen Bathurst se dirige avec son verre de vin vers la terrasse protégée de la pluie: «Je peux?», demande-t-il en désignant la chaise à côté du journaliste de Blick. «Bien sûr, cette chaise ne m’appartient pas.» – «Je sais. Elle est à moi!», s'exclame le sexagénaire en s’asseyant.
Avec sa coiffure ébouriffée, sa chemise à carreaux et sa cravate jaune étincelante, Allen Bathurst – très officiellement Earl Allen Bathurst, 9e comte de Bathurst et 8e comte d’Apsley – ne ressemble certes pas à l’image que l’on se fait de la haute noblesse britannique. Mais le propriétaire du club de polo de Cirencester, le plus ancien terrain de Grande-Bretagne, a le sang bleu jusqu’au bout des ongles.
L’immense parc, dans lequel la Tamise prend sa source, a servi de camp militaire pendant les deux guerres mondiales. Le prince Charles, un bon ami d'Allen Bathurst, vient y faire un tour de temps en temps.
Inquiétude face à l’approche d’une crise énergétique: très faible
Le comte Bathurst est l’un de ces richissimes Britanniques qui ne se soucie pas de la crise et laisse poindre un léger sourire en coin lorsqu'on aborde le sujet. La collection d’art de sa propriété de près de 100 pièces vaut à elle seule plus de 50 millions de francs. «Et avec tout ce bois ici, je peux passer tous les hivers de ces prochaines décennies», ajoute le comte en regardant les chênes dehors sous la pluie.
Et pourtant: la hausse des prix du gaz et l’explosion des coûts de l’énergie dans le pays – la Grande-Bretagne produit plus de 40% de son électricité avec du gaz importé – sont aussi un sujet de conversation entre les membres du club de polo.
La crise touche tout le monde, explique David Bond, qui a rejoint le comte Bathurst avec sa compagne Tessa Hardy. Chacun doit réagir d’une manière ou d’une autre: «Par exemple, cette année, nous ne chauffons notre piscine qu’en octobre.»
David Bond parle ensuite de son oncle et de son ami Ian Fleming, l’auteur des aventures de James Bond. «Ian Fleming a utilisé ma famille comme modèle pour les histoires de James Bond.» Sans surprise, le numéro d'immatriculation de son Aston Martin est 007.
Conclusion des conversations avec les membres du club de polo: le niveau d'inquiétude face à la crise énergétique qui approche est très bas - sauf en ce qui concerne la piscine non chauffée.
Sur l'indifférence des riches face à la crise climatique
«Beaucoup de gens vont mourir»
La Grande-Bretagne est durement touchée par la crise: peu de pays importent autant de gaz – et peu de systèmes sociaux sont aussi surchargés.
D’ici fin 2023, quatorze des 67 millions de Britanniques risquent de sombrer dans la pauvreté. Environ deux tiers des habitants de l’île auront le plus grand mal à payer les frais de chauffage en hiver. «De nombreuses personnes vont mourir», a déclaré Torsten Bell, chef du groupe de réflexion britannique Resolution Foundation.
À lire aussi sur la crise en Grande-Bretagne:
Les inégalités se creusent
Parallèlement, l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser sur l'île: la Grande-Bretagne compte désormais 177 milliardaires. Les 10% les plus riches du pays possèdent près de la moitié de la fortune nationale, tandis que plusieurs millions de personnes dépendent désormais de la nourriture gratuite des 1400 banques alimentaires officielles du pays pour joindre les deux bouts.
En Europe occidentale, seuls deux pays présentent un niveau d'inégalités entre riches et pauvres plus élevé: l'Italie et le Luxembourg.
Mais ni le Luxembourg ni l’Italie ne sont confrontés à un temps hivernal aussi froid et humide. Et ni le Luxembourg ni l’Italie n’ont de chef de gouvernement qui, pendant la campagne électorale, a exclu d’augmenter la contribution de l’Etat aux personnes dans le besoin ou de rationner l’énergie en hiver pour qu’il y en ait assez pour tout le monde.
De nombreux pubs au bord de la faillite
Les magasins et les restaurants britanniques pourraient être particulièrement touchés pendant la saison froide. Contrairement aux factures des ménages privés, les charges d'électricité et de chauffage des entreprises n'ont pas été plafonnées à un prix fixé par l'Etat. De nombreux pubs, parmi les 47'000 que compte le pays, risquent donc de faire faillite, écrit «The Guardian».
Mais cela n'inquiète pas le moins du monde Earl Allen Bathurst, 9e compte de Bathurst et 8e compte d'Apsley...
(Adaptation par Quentin Durig)