Billets, pièces de monnaie, timbres, cachets postaux, en-tête des documents administratifs… Le remplacement du portrait de la défunte reine Elizabeth II par celui du nouveau monarque Charles III ne concernera pas que le Royaume-Uni. A ce jour, le nouveau roi d’Angleterre est aussi le chef d’Etat de quinze pays à travers le monde. Une véritable galaxie de territoires dont la taille, l’importance stratégique et l’histoire ont un seul trait commun: leur appartenance passée à l’Empire britannique sur lequel «le soleil ne se couchait jamais», pour paraphraser les mots de la reine Victoria.
Une fièvre républicaine au long cours
Les plus importants d'entre-eux, sur un planisphère, sont bien sûr le Canada pour la façade atlantique, et l’Australie, la Nouvelle-Zélande et… la Papouasie-Nouvelle-Guinée pour la façade pacifique. Or, en plus de la fièvre républicaine qui a, ces dernières années, agité la classe politique australienne et canadienne, des éruptions contestataires ont eu lieu dans onze autres pays concernés: Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, le Belize, la Grenade, la Jamaïque, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, les Îles Salomon et Tuvalu.
Le dernier exemple de cette volonté d’émancipation politique a été donné, en octobre 2021, par l’île caribéenne de la Barbade. Une majorité de ses 290 000 habitants ont élu leur première présidente de la République, Sandra Mason, 73 ans, et abrogé la monarchie constitutionnelle conservée après l’indépendance, en 1966. Charles III connaît très bien cette histoire puisqu’il était sur place, comme prince de Galles, le jour où le divorce avec la couronne a été consommé.
D’abord, le défi écossais
Le nouveau souverain britannique sait donc qu’il ne lui sera pas facile de maintenir dans le giron de son trône les 15 Etats dont il est encore le chef suprême, le plus souvent représenté par un Gouverneur général, comme au Canada ou en Australie. Son premier défi, bien sûr, sera beaucoup plus proche. Il concernera l’Ecosse, où sa mère est décédée jeudi alors qu’elle séjournait au château de Balmoral. Cette partie du Royaume n’a pas renoncé à faire sécession, avec la volonté de rejoindre l’Union européenne.
Preuve peut-être de la sensibilité politique de ce sujet, dans un royaume que le Brexit a encore plus «désuni», Charles III n’a presque pas mentionné l’Ecosse dans son premier discours, alors qu’il a confié à son fils William ses charges de Duc de Cornouailles et de Prince de Galles. En septembre 2014, le «non» à l’indépendance l’avait emporté en Ecosse à 55%. Le conseil de «prudence» donné par la reine Elizabeth avant de se rendre aux urnes avait été entendu.
62% des Australiens contre la monarchie
Loin des frontières britanniques, la donne est très différente. En juin 2020, un sondage montrait que 62% des Australiens ne voulaient plus de la reine Elizabeth comme monarque. Un renversement notable de l’opinion, vingt ans après le rejet de l’abolition de la royauté par référendum, en 1999.
Au Canada, les enquêtes d’opinion révèlent de façon constante qu’au moins 50% des personnes interrogées accepteraient la disparition de la monarchie, avec un pic anti-royaliste parmi les électeurs francophones du Québec. En Jamaïque, située au sud des Etats-Unis, le processus de divorce est entamé. Si la destitution du roi se confirme, Charles III pourrait voir ce territoire tourner le dos à sa couronne en 2025, avant les prochaines élections législatives.
Avril 1947, le discours du Cap, en Afrique du Sud
Oubliée donc, la solidarité monarchique d’antan, largement liée au prestige d’Elizabeth II, montée sur le trône en 1953, avant l’indépendance de la plupart de ses pays? Signal discret adressé à tous ces sujets lointains, Charles III a rappelé dans son discours que sa mère se trouvait loin de la Tamise, au Cap, en Afrique du Sud, lorsqu’elle adressa son premier message à ses futurs sujets, le 21 avril 1947, jour de ses vingt et un ans. Tout en affirmant sa foi chrétienne, le nouveau monarque, chef de l’Eglise anglicane, a aussi insisté ce vendredi 9 septembre sur son respect de «toutes les cultures et de toutes les religions». Il a parlé de la «famille des nations» qui se retrouve aujourd’hui en deuil, et sera à ses côtés lors des funérailles de la reine défunte, prévues à priori le 19 septembre à Londres.
Elizabeth II, née en 1926, avait hérité d’un Empire. A l’issue de son règne de 70 ans, le plus long de l’histoire, son fils Charles III devra batailler pour que la monarchie britannique «mondialisée» ne se recroqueville pas sur le seul territoire d’un royaume par ailleurs fracturé.