L'objectif: 15% de gaz russe en moins entre le mois d’août 2022 et le mois de mars 2023, comparé à la consommation moyenne des cinq dernières années. Un objectif simple, que la Commission européenne considère comme indispensable pour permettre aux 27 pays membres de l’UE de faire face ensemble aux conséquences énergétiques de la guerre en Ukraine. Au point de vouloir l’imposer aux Etats, s’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord.
Une réunion d’urgence en forme de test
C’est sur ces 15% que tout se joue ce mardi 26 juillet à Bruxelles, où les ministres de l’Energie se retrouvent pour une réunion d’urgence en forme de test. Soit cet effort est validé par tous, puis réparti en fonction des caractéristiques énergétiques de chaque pays, plus ou moins dépendant du gaz russe. Soit certains s’y opposent, et Vladimir Poutine recevra le message politique 5 sur 5 au moment où le principal gazoduc russe, NordStream 1, est régulièrement interrompu pour «maintenance».
Difficile, en effet, d’imaginer une Commission européenne transformée en gendarme énergétique si les Etats ne sont pas derrière elle pour justifier ces efforts aux yeux de leur population. «Poutine est le dealer et nous sommes les toxicomanes, ironise un diplomate européen de haut rang. Soit nous lui envoyons un message clair sur notre capacité à fonctionner sans cette drogue dure qu’est le gaz russe. Soit nous lui démontrons, par notre désunion, que nous ne sommes pas capables de décrocher. C’est-à-dire qu’il nous tient».
«Détruire l’Union européenne»
Pierre Vimont est l’ancien patron du service européen d’action extérieure, la diplomatie de l’UE. Cet ancien ambassadeur français est, à la veille de cette réunion bruxelloise, allé un cran plus loin, dans un tweet lapidaire en forme d’avertissement, repris de son entretien accordé aux Echos intitué «Ce que veut Poutine, c’est détruire l’Union européenne». Qu’en pensent les douze pays membres sur 27 qui, la semaine dernière, ont fait savoir leurs réticences à propos de la proposition de la Commission européenne d’une réduction volontaire de 15% de la consommation en gaz?
Rivalité avec la Commission
Deux débats se superposent, et ils ne sont pas du tout de même nature. Le premier porte sur le droit – ou non – pour la Commission européenne de décider des coupures énergétiques qui seront obligatoires si Poutine ferme le robinet. «Les États membres veulent avoir la possibilité de déclencher eux-mêmes les mécanismes de crise. Ce n’est pas quelque chose qu’ils ont très envie de céder à la Commission», expliquait ces jours-ci un diplomate à l’agence Reuters.
Le second débat est existentiel. Certains pays, comme la Lettonie ou la République tchèque (100% de leur gaz consommé vient de la Russie), mais aussi la Finlande, la Hongrie ou l’Estonie (autour de 95%) ne peuvent pas se passer du gaz russe. D’autres Etats s’approvisionnent pour plus de la moitié de leurs importations auprès de la Russie, comme la Bulgarie (75%) ou l’Allemagne (66%, première importatrice de l’Union européenne avec plus de 50 milliards de mètres cubes de gaz naturel en 2020, soit un tiers des importations de l’UE depuis la Russie). Prévoir une baisse de consommation de gaz russe n’est donc pensable que si des alternatives crédibles d’approvisionnement existent.
Comment moduler les efforts?
Vient enfin la question la plus épineuse: comment moduler les efforts selon les pays? Est-il normal, par exemple, de demander aux Français de se chauffer moins pour pouvoir approvisionner d’autres pays alors que l’électricité nucléaire les protège en partie des convulsions énergétiques engendrées par la guerre en Ukraine? Et qui va arbitrer pour que la solidarité entre Européens soit à la fois réelle et efficace?
Le jour J n’est pas seulement celui des baisses théoriques de consommation cet hiver. Il porte sur les sacrifices que les uns devront faire envers les autres en cas de crise énergétique hivernale. Le courage et le risque politique ont, ce mardi, tous les deux rendez-vous à Bruxelles.