Le Royaume-Uni est-il en train de sortir de la spirale de violences et d’émeutes à caractère racistes engendrées par le meurtre, le 29 juillet, de trois fillettes à Southport, ville située à une vingtaine de kilomètres de Liverpool?
Depuis quelques jours, de nombreuses manifestations hostiles à l’extrême droite font face aux émeutiers qui s’en sont pris aux centres pour migrants dans plusieurs villes du pays. Près de 400 arrestations ont eu lieu. Mais pour comprendre l’engrenage, il est indispensable de connaître certaines vérités.
Les travaillistes ont été surpris
Keir Starmer a emménagé au 10 Downing Street voici pile un mois, le 6 juillet. Le Premier ministre travailliste s’était bien sûr préparé à diriger le gouvernement, puisque tous les sondages donnaient le «Labour» gagnant aux législatives du 4 juillet 2024. Ce qui s’est confirmé de façon écrasante, avec une majorité absolue de 411 sièges sur les 650 de la Chambre des communes. Les travaillistes étaient en revanche éloignés du pouvoir depuis 2010! Ils avaient donc perdu leurs relais au sein de la police et des forces de l’ordre.
La nouvelle ministre de l’Intérieur, Yvette Cooper, députée depuis 1997, s’était à une époque présentée pour prendre la tête du parti. Keir Starmer connaît bien les questions de maintien de l’ordre, car il a travaillé, au début des années 2000 à la mise sur pied de la nouvelle police d’Irlande du Nord, née des accords de paix de 1998. Il a aussi été directeur des poursuites pénales, c’est-à-dire procureur général pour l’Angleterre et le pays de Galles. Les émeutiers, en sortant de l’ombre soudainement après la mort des trois fillettes, l’ont pris de court.
La violence de rues est endémique
Le Royaume-Uni connaît de longue date le phénomène des hooligans qui s’affrontent autour des matches de football. Il y eut aussi les skinheads. Depuis les années soixante, «il y a aussi de plus en plus d’émeutes qu’on qualifie d’émeutes raciales, urbaines ou sociales et qui ont invariablement la même origine», selon l’universitaire française Monia Castro.
A chaque fois, leur origine a été un acte violent comme en août 2011, lorsqu’un trafiquant de drogue présumé fut tué par la police dans le quartier de Tottenham, au nord de la capitale britannique. Les 7 et 8 août 2011, soit il y a exactement 13 ans, d’autres grandes villes telles Manchester, Liverpool ou Birmingham se trouvaient prises d’assaut par les émeutiers.
Autre phénomène en pleine recrudescence: les attaques au couteau. 50’000 ont été recensées depuis un an, sept fois plus qu’il y a dix ans. Preuve que de plus en plus de Britanniques s’équipent d’une arme blanche.
Le rejet des migrants est très répandu
L’extrême droite est, jusque-là, sous représentée au Parlement britannique (elle vient de remporter cinq sièges de députés) mais son discours imprègne la société, notamment autour des traversées de la Manche dans des embarcations de fortune. Le rejet le plus fort des migrants vient des classes populaires qui les rendent responsables de la dégradation de la sécurité, des prestations sociales, du système de santé.
Certaines populations blanches parlent aussi de «grand remplacement», comme en France, et affichent un racisme anti-musulman assumé. Les réseaux sociaux sont leur terrain d’influence favori. Le rejet de l’immigration, le racisme, le contrôle des frontières ont été aussi une des principales causes du Brexit, le divorce avec l’Union européenne lors du référendum du 23 juin 2016.
L’islam est aux avant-postes
L’islam est désormais la première religion non chrétienne au Royaume-Uni, à la suite de l’immigration provenant du sous-continent Indien, d’Afrique, des Caraïbes et plus récemment des Balkans, du Proche-Orient et d’autres régions du monde. Près de la moitié de ces musulmans est née au Royaume-Uni, le plus souvent d’origine Pakistanaise ou Bangladaise. La visibilité de cette religion, dans certaines villes ou quartiers, est devenue un repoussoir pour les autres segments de la population.
En 2016, un rapport sur la cohésion du pays, commandité par le gouvernement Cameron, recommandait «une nouvelle stratégie pour aider à combler les fossés au Royaume-Uni, y compris un serment d’intégration pour encourager les immigrants à adopter les valeurs britanniques, et une plus grande attention à la promotion de la langue anglaise. Autre demande: la garantie de «l’émancipation des femmes dans les communautés où elles sont freinées par des pratiques culturelles régressives». L’actuelle ministre de la Justice est musulmane. Comme le maire de Londres.
La France laisse partir les bateaux
Puisque le Royaume-Uni a quitté l’UE, exit la solidarité communautaire. Au cours du premier semestre de 2024, près de 13’000 migrants ont réussi à traverser la manche et la mer du Nord, un record pour une période similaire depuis que les données ont commencé à être collectées en 2018. Deux explications à cela.
La première est la répression coté français: «Les raids fréquents sur les camps de fortune et les squats poussent les migrants dans des conditions précaires et insalubres. Les nouvelles lois strictes sur l’immigration et les mesures policières plus agressives ont contraint les candidats à la traversée à prendre de plus grands risques», estimait début juillet le quotidien Politico.
La seconde est le peu d’empressement de la police française à empêcher les départs. En juin, un reportage du Daily Mail a constaté que les agents de la police nationale française n’ont rien fait pour empêcher les migrants de prendre un «taxi boat» pour Douvres. «Les scènes troublantes qui se sont déroulées sur la plage de Gravelines, près de Calais, ont mis en évidence les lacunes des propositions de Sir Keir Starmer visant à renforcer la coopération avec la France et d’autres pays européens», tonnait alors le quotidien populaire.