Mise en garde d'un politologue
«Erdogan veut bafouer la Constitution turque et reporter les élections à 2024»

Les séismes dans le sud-est de la Turquie menacent la réélection du président en mai 2023. Recep Tayyip Erdogan est accusé d'avoir échoué dans la crise, voire d'en être coresponsable. Un politologue explique comment l'homme fort d'Ankara compte rester au pouvoir.
Publié: 28.02.2023 à 06:16 heures
|
Dernière mise à jour: 28.02.2023 à 09:28 heures
1/7
La ville de Hatay a été particulièrement touchée par le séisme. Elle est située près de l'épicentre et une grande partie des immeubles d'habitation s'y sont effondrés comme des châteaux de cartes sous l'effet des secousses.
Photo: dia images via Getty Images
Blick_Portrait_1329.JPG
Myrte Müller

Des tremblements de terre continuent de secouer le sud-est de la Turquie, parfois avec une magnitude allant jusqu'à 6 sur l'échelle de Richter: 8850 répliques ont été enregistrées depuis les deux grands séismes du 6 février 2023. Plus de 49'000 personnes ont perdu la vie, dont environ 4000 en Syrie. Jusqu'à présent, 164'321 bâtiments se sont effondrés, selon le gouvernement turc. Treize millions de personnes sont touchées par la catastrophe. Une personne sur dix est sans abri dans les zones concernées. Les sinistrés manquent de tout: tentes, eau, chauffage, électricité. Les épidémies menacent. Selon l'association des entrepreneurs Türkonfed, les dégâts matériels s'élèvent à 84 milliards de dollars américains.

Les médias ne parlent plus de miracles ni d'actes héroïques pour détourner l'attention de la misère. Même les visites du président turc dans la zone des tremblements de terre ne sont pas vraiment réconfortantes. Recep Tayyip Erdogan promet que la reconstruction durera un an. Dans le même temps, les critiques se multiplient à l'encontre de la gestion hésitante de la crise par le gouvernement, de la corruption étatique, des travaux de construction bâclés approuvés par les autorités et du détournement des recettes de la taxe sismique.

La cote de popularité d'Erdogan chute

Pour Recep Tayyip Erdogan, le moment n'est pas propice aux élections. Elles doivent avoir lieu le 14 mai. «Selon les derniers sondages, le soutien de la population turque au gouvernement est en baisse. La situation devient critique pour le président et son parti, l'AKP, explique Burak Copur, expert de la Turquie, à Blick. Il doit maintenant jouer la montre.» C'est pourquoi le président va tenter de repousser les élections d'un an. Le politologue d'Essen (All) en est convaincu. Il évoque une ruse perfide.

Le leader turc aurait d'abord demandé à un proche d'expliquer publiquement son plan. L'ancien vice-Premier ministre et membre fondateur de l'AKP Bülent Arinc a ainsi demandé que les élections ne soient autorisées qu'en 2024, car l'infrastructure dans les régions touchées par le séisme doit d'abord être reconstruite. Mais cela n'est pas possible juridiquement, explique Burak Copur, parce que «la Constitution turque ne prévoit un report des élections législatives qu'en cas de guerre». L'idée s'est donc heurtée à une forte résistance, surtout de la part du principal parti d'opposition, le CHP. Son président, Kemal Kilicdaroglu, a comparé ce projet à un coup d'État.

Une haute commission électorale pourrait décider de reporter les élections

Proposer ouvertement un report des élections aurait pu être interprété comme une faiblesse de la part du dirigeant turc. «L'AKP s'est ainsi empressé de maintenir officiellement la date fixée pour les élections, explique le politologue Burak Copur. Mais Erdogan pourrait en même temps instrumentaliser la Haute commission électorale (YSK) et la laisser décider d'un report des élections.»

La plus haute instance électorale du pays avait déjà annulé en mai 2019, à la demande du gouvernement, le résultat des élections municipales d'Istanbul, qui avaient permis au candidat de l'opposition Ekrem Imamoglu d'obtenir la mairie. Ce politicien charismatique a toutefois été élu lors du nouveau scrutin et est désormais considéré comme un adversaire prometteur pour la présidence, malgré la menace d'une mise à l'écart politique de la part du régime.

Burak Copur ne considère néanmoins pas l'autocrate Recep Tayyip Erdogan comme tout-puissant. «Une large résistance s'annonce déjà, affirme le politologue turc établi en Allemagne. Par exemple, 61 avocats ont porté plainte contre le dirigeant pour homicide involontaire sur les victimes du tremblement de terre. Seule une opposition unie, une société forte et de tels juristes courageux pourraient faire définitivement échouer sa stratégie.»

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la