Ekrem Imamoglu, condamné mercredi à deux ans et sept mois de prison et à la suspension de ses activités politiques pour une durée équivalente, s'est adressé à la foule compacte, massée sous la pluie, devant le siège de la municipalité.
«Ils ont effacé vos votes!» a-t-il lancé devant une marée de drapeaux rouges de la Turquie. «Ce n'est pas mon procès mais le procès de la justice et de l'équité», a insisté l'élu, assurant n'avoir «absolument pas peur de cette décision illégitime».
«Je n'ai pas de juges pour me protéger mais j'ai 16 millions de Stambouliotes et notre nation derrière moi», a-t-il enchainé, avant de conclure «Tout ira bien!» - le slogan de sa campagne victorieuse pour la mairie en 2019.
«Un coup porté à la Nation»
C'est la première fois que les six partis d'opposition se retrouvent ainsi en meeting public depuis le lancement de leur plateforme commune pour affronter le président Recep Tayyip Erdogan lors des élections présidentielles et parlementaires en 2023.
Kemal Kilicdaroglu, patron de la principale formation, le CHP, considéré comme le probable candidat commun de l'opposition, a dénoncé «un coup porté à la nation par la justice» et promis de «ne pas céder d'un millimètre».
Un rassemblement de plusieurs centaines de personnes, selon la presse turque, s'est tenu simultanément à Trabzon (nord-est), la ville natale du maire sur la Mer noire.
Ekrem Imamoglu, 52 ans, également membre du CHP et étoile montante de la vie politique turque, est lui aussi vu comme un candidat sérieux pour l'opposition, après avoir ravi la plus riche et la principale ville de Turquie au parti d'Erdogan, l'AKP, en mai 2919.
Accusé d'insultes
Il était accusé d'avoir «insulté» les membres du collège électoral - traités «d'idiots» - qui avaient invalidé sa victoire, avant qu'un nouveau scrutin ne le confirme avec éclat trois mois plus tard.
L'édile, qui a assuré n'avoir fait que «retourner» l'insulte au ministre de l'Intérieur qui avait, selon lui, employé ce terme, a annoncé son intention de faire appel.
Erdogan, au pouvoir depuis près de 20 ans, a annoncé sa candidature à sa propre succession au printemps prochain, dans le contexte d'une sévère crise économique et d'une inflation de plus de 84%.
Le président ne s'est pas exprimé, mais le chef du parti nationaliste MHP, Devlet Bahçeli, membre de la coalition au pouvoir, a indiqué «que tout le monde doit respecter une décision de justice, qu'elle lui plaise ou non».
Un sondage de l'institut Metropoll montrait cependant jeudi que, même auprès des sympathisants AKP, le jugement contre Ekrem Imamoglu ne convainc pas: 28% d'entre eux y voyant «une affaire politique» contre 22% un réel procès pour diffamation.
Réprobations internationales
La condamnation du maire a suscité une vague de réprobation internationale, les Etats-Unis se disant jeudi «profondément inquiets et déçus par le verdict de la justice turque».
«Nous exhortons le gouvernement à cesser les poursuites pénales en justice pour 'insulte' et à respecter les droits et les libertés des citoyens turcs, notamment en garantissant un environnement propice au débat public», a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, dans un communiqué.
Berlin a pour sa part évoqué «un coup dur pour la démocratie», la France exhortant la Turquie «à inverser de toute urgence les tendances négatives à l'oeuvre en matière d'Etat de droit, de démocratie et de respect des droits fondamentaux» et l'Union européenne jugeant la condamnation «disproportionnée».
Sur Twitter, Marc Pierini, spécialiste de la Turquie à l'Institut Carnegie-Europe, à Bruxelles, estime que «si ce verdict n'est pas renversé en appel, la crédibilité du scrutin sera gravement entamée».
(ATS)