Les États baltes de Lituanie, Lettonie et Estonie observent avec la plus grande inquiétude l’invasion brutale de l’Ukraine par Vladimir Poutine. Les trois anciennes républiques soviétiques risquent elles aussi de subir l’ire du Kremlin et une agression russe, en dépit de leur appartenance à l’OTAN et à l’UE.
Le président letton Egils Levits a effectué une visite officielle en Suisse en début de semaine. Il a été reçu lundi à Lugano par le président de la Confédération Ignazio Cassis. Blick l’a rencontré mardi à Zurich pour une interview.
Monsieur le président, avez-vous peur de Vladimir Poutine?
Egils Levits: Non! Nous sommes membres de l’OTAN, l’organisation militaire la plus puissante du monde. Elle est bien plus forte que l'armée russe. Vladimir Poutine le sait.
Un quart de la population en Lettonie est russe. Cela ne serait-il pas un prétexte d'invasion russe, comme en Ukraine, sous prétexte de «protéger» le peuple russe?
La société lettone est pratiquement unie derrière l’Ukraine. Au sein de la minorité russe, il existe une petite frange qui est certes orientée vers la Russie, mais qui est désormais pour le moins désorientée par les images qui nous parviennent d’Ukraine.
La semaine dernière, le Kremlin a pourtant reproché au gouvernement letton d’être favorable au nazisme.
C’est totalement absurde et n’a rien à voir avec la réalité.
Quel est selon vous le risque que la Russie attaque ou provoque les pays baltes?
Nous faisons partie de l’OTAN. Et c’est justement cette force qui retient Poutine. Renforcer la capacité militaire, c’est une politique de paix face à un État agressif.
Etes-vous convaincu que l’OTAN soutiendrait vraiment les petits États baltes en cas d’urgence?
C’est le but d’une alliance de défense. Si Poutine s’attaque à nous, il s'attaque à la démocratie en tant que telle.
La guerre a stimulé les programmes de réarmement. Trouvez-vous que c’est la bonne voie?
Il faut s’armer pour maintenir la paix. Une attaque contre un État de l’OTAN serait une catastrophe pour la Russie. La Russie n’est pas suicidaire.
Comment arrêter Poutine?
Il y a une possibilité: faire preuve de force, militairement et politiquement. La Russie ne respecte pas les paroles en l’air, comme la débâcle de certains hommes politiques occidentaux peut en témoigner. Rappelez-vous la fin des années 30, lorsque le Premier ministre britannique Neville Chamberlain a tenté de parler de bonne foi à Adolf Hitler: cela n’a mené à rien. Face à des idéologies agressives, la politique d’apaisement ne fonctionne pas.
Vous avez été juge dans différentes instances internationales. Comment demander des comptes à la Russie?
La Cour pénale internationale de La Haye a ouvert des enquêtes, la Cour de justice des Nations unies également. Il y a également la possibilité d’un tribunal spécial, comme celui qui est actuellement mené sur la guerre en Yougoslavie. Je soutiens ces trois idées.
Encore faudrait-il que Poutine reconnaisse la légitimité des tribunaux internationaux.
C'est le cas de nombreux criminels de guerre. Les tribunaux fonctionnent malgré tout.
Quel est l’intérêt d’une accusation avec un jugement qui ne pourra jamais être exécuté?
La réaction russe ne m'intéresse pas. C’est le droit international qui m’intéresse. Nous ne devons pas abandonner l’ordre et le droit international, sinon le monde va dégénérer en une anarchie guerrière.
L’Ukraine doit-elle devenir membre de l’UE et de l’OTAN?
Nous, ainsi que sept autres États, soutenons la procédure d'adhésion accélérée de l’Ukraine. Il est possible qu'un certain temps s’écoule avant que l’Ukraine ne devienne membre à part entière. Mais l’Ukraine doit trouver sa juste place dans la famille démocratique européenne.
C’est justement une telle orientation vers l'Occident qui fâche la Russie. Pourquoi n’est-il pas intervenu en 2004, lorsque la Lettonie a rejoint l’UE et l’OTAN?
A l’époque, Poutine ne s’était pas encore laissé emporter par ses délires impérialistes.
Lors de votre rencontre avec le président de la Confédération Ignazio Cassis ce lundi, vous avez déclaré qu’une nouvelle architecture de sécurité devait se baser sur des points communs entre les États démocratiques. Qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse?
La base de l’architecture de sécurité est l’OTAN. En Suisse, on réfléchit à renforcer la coopération sans en devenir soi-même membre. Je me réjouirais de cette coopération.
Il y a 30 ans, vous étiez ambassadeur en Suisse. Qu’est-ce qui vous a marqué dans notre pays?
La Suisse est une démocratie primitive. Elle a joué un grand rôle pour notre Constitution au début des années 1920. La Suisse est un État démocratique, ouvert sur le monde, mais qui mise aussi beaucoup sur sa propre identité.
Trouvez-vous cela bon ou mauvais?
C’est une bonne chose. L'histoire d'un peuple et son identité sont très importantes pour la cohésion de la société.
La Suisse en fait-elle assez dans le contexte de la guerre en Ukraine?
La Suisse s’est très vite ralliée aux sanctions de l’UE. Cela montre sa solidarité avec l’Europe et toutes les démocraties.
En Suisse, on connaît peu la Lettonie. Que faut-il savoir de votre pays?
La Lettonie est un État nordique innovant, tourné vers l’avenir et démocratique. Nous participons à la construction européenne.
Où voyez-vous votre pays dans 20 ans?
Notre pays se développe très rapidement sur le plan économique. Dans 20 ans, nous en serons au même point que la Suisse aujourd’hui.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)