L'invasion de Poutine ne se déroule pas comme prévu
«Le temps joue pour les Ukrainiens»

La résistance âpre des Ukrainiens écorne l'image de grande puissance de la Russie. Quels sont les scénarios que les experts estiment désormais envisageables, et comment la guerre en Ukraine pourrait se terminer?
Publié: 21.03.2022 à 06:07 heures
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Dernière mise à jour: 26.03.2022 à 09:57 heures
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Vladimir Poutine fait la promotion de la guerre devant ses supporters, vendredi, au stade Loujniki de Moscou.
Photo: keystone-sda.ch
Tobias Marti

Sur une route menant à Kiev, une colonne d’une douzaine de chars de l’armée russe roule sur le bitume. Soudain, un tir de roquette sorti de nulle part fait mouche et un des chars prend feu immédiatement. Le deuxième tir des forces ukrainiennes touche un autre véhicule, qui s’immobilise immédiatement. Plusieurs soldats sautent du char en feu et courent pour sauver leur vie. Seul un unique char de la colonne riposte. Le reste s’enfuit à travers champs.

Une quasi-même scène de combat se déroule à Kozatcha Lopan, au nord de Kharkiv. Un transport de troupes russe est touché en pleine course par un missile antichar qui vole au ras du sol. Les soldats ukrainiens filment la scène.

Pour l’internaute moyen, ces images font penser à un blockbuster ou à un jeu vidéo. Pour les soldats russes (et ukrainiens), la guerre est bien réelle et ceux qui n’arrivent pas à s’échapper des chars en flammes meurent dans des souffrances atroces.

Courage et efficacité tactique

Internet regorge de vidéos d’embuscades ukrainiennes. Le pays attaqué met visiblement à mal la grande puissance russe. Un cas de figure inattendu, qui ne prenait pas en compte ni la faiblesse des armées de Poutine, ni le courage et l’efficacité tactique des forces ukrainiennes.

Selon les estimations américaines de cette semaine, plus de 7000 soldats russes sont morts, 14’000 à 21’000 ont été blessés. Les Américains considèrent qu’une victoire des Ukrainiens est possible.

Un moral en berne

Le moral des troupes russes est désastreux. Les services secrets ukrainiens ont publié vendredi des conversations interceptées dont la valeur est édifiante. Dans ces enregistrements, de nombreux soldats et officiers russes révèlent s’infliger eux-mêmes des blessures par balle afin d’être renvoyés chez eux.

Comment en est-on arrivé là? Comment le président Volodymyr Zelensky et ses hommes y sont-ils parvenus? Le succès des uns est parfois dû à l’incompétence des autres. Dans la guerre de l’information, les Ukrainiens ont pris l’avantage dès la première heure. «Les Russes sont incapables de contrer la propagande ukrainienne, ou du moins de l’empêcher», explique Mauro Mantovani de l’Académie militaire de l’EPFZ.

Des embuscades faciles

Mais pour de nombreux observateurs, tout cela n’est pas la raison principale des succès des victimes de Poutine. «En tant que défenseurs, les Ukrainiens ont un bien meilleur moral au combat», explique Mauro Mantovani. Avec leurs volontaires armés, ils ont aussi un plus grand nombre de combattants.

«Les forces armées russes sont toujours incapables d’obtenir la souveraineté aérienne», explique également le stratège militaire. La conséquence? «Des tirs spectaculaires», parfois filmés par les troupes au sol. De plus, l’armée russe a trop étendu ses lignes en profondeur, ce qui accroît les problèmes de ravitaillement et isole certaines unités: «Cela facilite les embuscades ukrainiennes.»

L’aide extérieure vient s’ajouter à ces avantages. Les stratèges et formateurs américains ont modernisé les troupes. En conséquence, les Ukrainiens ont souvent une meilleure image globale de la situation grâce aux données des services de renseignement occidentaux, et les pays de l’OTAN fournissent en outre de grandes quantités d’armes antiaériennes et antichars.

Retranchement dans les villes

Avantage tactique des Ukrainiens: ils se replient dans les villes, dont la conquête nécessite cinq fois plus de troupes d’attaque que de défense. Rien qu’à Kiev, 30’000 hommes seraient prêts à défendre la ville. Moscou aurait donc mathématiquement besoin de 150’000 soldats pour s’emparer de la capitale, soit autant que la Russie a engagé jusqu’à présent dans la guerre.

D’autre part, les défenseurs poursuivent leurs embuscades en petites unités. «Le temps est du côté des Ukrainiens, analyse Mauro Mantovani. Et ceux-ci le savent très bien.» La Russie étant menacée de sombrer économiquement à cause des sanctions, son armée risquerait alors de subir des pertes encore plus importantes. «Ces deux éléments affaiblissent le moral des troupes et renforcent l’opposition interne à la guerre, en Russie.»

Grand meeting pour Poutine

Pendant ce temps, le président russe a fait une apparition vendredi au stade Loujniki de Moscou. La première devant une foule depuis plusieurs semaines. Il a ainsi continué de mener sa propagande, attisant ainsi le climat de guerre devant des dizaines de milliers de personnes. Auparavant, il avait traité les dissidents de «racaille et de traîtres».

Une fois de plus, il est clair que Vladimir Poutine doit faire passer sa guerre pour un succès en Russie. Mais quels sont les possibles scénarios qui lui restent? «Une occupation de l’Ukraine toute entière est au-delà des possibilités russes», déclare sans équivoque le stratège Mauro Mantovani.

Ulrich Schmid, professeur de slavistique à l’université de Saint-Gall, estime un putsch contre Poutine comme étant «improbable». Selon lui, la répression en Russie fonctionne encore trop bien.

Occupation de zones clé

Un autre scénario verrait la Russie occuper durablement plusieurs parties clé de l’Ukraine, par exemple autour des régions séparatistes de Donetsk et de Lougansk. «Mais il y aurait là des attaques récurrentes de la part de partisans», estime Ulrich Schmid. À moins que Poutine ne retire ses troupes des autres régions et les regroupe tout à l’est de l’Ukraine.

Une escalade comme celle de la guerre de Tchétchénie de 1996 à 2009, lorsque Poutine avait lourdement bombardé la ville de Grozny, est considérée par le spécialiste de la Russie comme «très improbable» dans le cas de Kiev. Poutine doit se tenir à son récit, répété comme un mantra, selon lequel les «opérations spéciales» du Kremlin ne sont pas dirigées contre des cibles civiles, selon Ulrich Schmid. D’ailleurs, du point de vue de Poutine, Kiev est «la mère de toutes les villes russes, la mère de la civilisation russe». La raser ne semble donc pas une option.

D’autre part, un cessez-le-feu prévoyant la neutralisation de l’Ukraine et la reconnaissance des territoires séparatistes serait perçu par de nombreux Ukrainiens comme une «trahison et une capitulation», souligne Ulrich Schmid.

Un nouvel Afghanistan

De leur côté, les Ukrainiens ont exigé le retrait de l’armée russe, le respect de leur souveraineté et la liberté d’adhérer à des organisations occidentales comme l’OTAN. «Le gouvernement de Volodymyr Zelensky ne fera pas de concessions, estime Mauro Mantovani, et comme cela est inacceptable pour la partie russe, une escalade est à craindre.»

Selon le professeur Ulrich Schmid, l’armée ukrainienne ne peut certes pas chasser les envahisseurs, mais elle peut toujours les affaiblir massivement: «Il est possible que la Russie doive se préparer à un Afghanistan à sa porte.»

Pour éviter une guerre prolongée, de véritables négociations de paix doivent avoir lieu. Pour que Poutine trouve une issue à son dilemme, il devra abandonner ses fantasmes de la restauration d’un grand empire russe et être prêt à faire des compromis avec son adversaire.

Mais pour que les négociations aient un sens, Volodymyr Zelensky doit lui aussi pouvoir faire des sacrifices et mettre dans la balance sa vision d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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