L'Allemagne est à nouveau divisée. Mais cette fois-ci, aucun mur de plusieurs mètres de haut ne fractionne Berlin. C'est bel et bien un mur invisible qui se dresse depuis peu. D'un côté: tous les partis, de la gauche à l'Union chrétienne-démocrate, en passant par le Parti social-démocrate. De l'autre, l'Alternative für Deutschland (AfD), qualifié parti d'«extrême droite» par tous les observateurs.
Ce dimanche, la tension va atteindre un point culminant en Allemagne. L'AfD est sur le point de remporter les élections locales dans plusieurs Länder d'Allemagne de l'Est. Et nulle part plus clairement qu'en Thuringe. C'est là que vit Björn Höcke, pilier de l'AfD.
Ancien professeur de lycée, il est aujourd'hui aux yeux de beaucoup «l'homme le plus dangereux d'Allemagne». 1,7 million de personnes ont signé une pétition visant à le priver officiellement de ses droits politiques. Mais cela n'a pas abouti.
Son AfD réunit un tiers de l'électorat derrière lui, plus qu'aucun autre parti en Thuringe. L'homme, qui est surveillé depuis 2020 par l'Office allemand de protection de la Constitution (et qui bénéficie déjà d'une protection policière depuis autant d'années), veut devenir ministre-président de Thuringe. Ce serait la première fois depuis la guerre qu'un homme politique d'extrême droite assumerait des responsabilités gouvernementales en Allemagne.
Pour la remigration et contre l'«empire arc-en-ciel»
Björn Höcke, qui a grandi dans un foyer social-démocrate en Allemagne de l'Ouest, maîtrise la provocation politique comme aucun autre. Il parcourt la Thuringe de long en large, toujours avec un gilet pare-balles sous sa chemise blanche. Son intérêt? Les préoccupations des citoyens. Sa technique? Pointer du doigt sans concessions. Son but? «Secouer» la nation.
Chaque jour, Björn Höcke tonne la même rengaine sur les scènes provinciales de son pays d'adoption. La solution à tout, c'est la «remigration»: le renvoi des millions d'étrangers qui ne sont pas adaptés à l'Allemagne.
Dans certains cas, le leader de l'AfD exige même l'expulsion de concitoyens allemands qui ne sont pas assez allemands à son goût. Il promet: «Nous construirons l'Europe comme une forteresse» – si jamais son parti arrive aux commandes au niveau fédéral.
Au tout début de la campagne électorale, l'homme politique déclarait à Blick: l'«empire arc-en-ciel» (en référence à la cause LGBTQIA+) que l'Allemagne est en train de devenir met sa nation en danger. Pour lui, il n'y a pas de place pour des «expériences sociales multiculturelles autodestructrices». «L'Allemagne est en train de devenir un Etat en faillite», avait-il conclu.
L'AfD et le PLR ont les mêmes avis sur l'éducation
En 2017, son parti tentait encore d'exclure Björn Höcke en raison de sa proximité de pensée avec le national-socialisme. Il écrivait des propos xénophobes dans des magazines spécialisés sous un pseudonyme, et il s'était fait aider par des néonazis pour déménager dans un presbytère dans le village de Bornhagen. Cette époque est révolue, mais il a sans aucun doute donné le ton depuis au sein de l'AfD.
Aujourd'hui, alors qu'il pourrait gagner en influence comme jamais auparavant, l'homme politique se montre plus mesuré. «Simplement honnête, simplement Björn», peut-on lire sur ses affiches électorales. Tout en haut de sa liste de thèmes (juste après la remigration), on peut trouver la politique familiale et éducative.
Björn Höcke déplore – comme le PLR dans notre pays – que l'intégration des élèves qui s'écartent de la norme dans les classes ordinaires soit un «projet idéologique qui a échoué», ou encore un «facteur de charge» pour tous. C'est pourquoi il veut supprimer ces méthodes. En revanche, il souhaite plus de cours de travaux manuels. L'Allemagne a besoin de plus de bons artisans, selon lui.
Il encourage en plus à faire beaucoup d'enfants. Lui-même quatre fois père, Björn Höcke veut faire de l'Allemagne «le pays le plus favorable aux familles du monde», déclare-t-il à Blick. Le fait que les hommes politiques n'aient pas d'enfants est un gros problème pour lui, «parce qu'il en résulte une trop forte orientation vers l'ici et maintenant, au lieu du futur.»
C'est exactement le même son de cloche qu'aux Etats-Unis, où le candidat à la vice-présidence de Donald Trump, J.D. Vance, se moque des «vieilles filles qui ont 14 chats et pas d'enfants».
Höcke et Vance, même combat
Björn Höcke se reconnaît en Trump. Tout comme le républicain américain, il se considère lui aussi comme une victime d'une «justice injuste». Rien que cette année, il a été condamné à deux reprises à des amendes pour avoir prononcé lors de meetings électoraux l'expression interdite en Allemagne «Alles für Deutschland» (un slogan nazi d'Hitler). Les jugements ne sont pas encore définitifs. Björn Höcke, qui est pourtant un historien chevronné, affirme qu'il n'était pas au courant de la préexistence de cette phrase.
Il sait esquiver parfois les tollés, mais il retombe souvent dans un langage d'une autre époque, vu comme dangereux en Allemagne. Lors des rassemblements de l'AfD, il annonce fièrement: «A l'Est, nous pouvons réussir à percer!» Mais que se passera-t-il ensuite?
Jusqu'à présent, personne n'a proposé une collaboration politique avec le parti d'extrême droite. A ce propos, Björn Höcke explique à Blick: «On peut aussi ruiner une démocratie en n'impliquant plus du tout une grande partie de la population.»
Cette semaine, le chef de l'AfD a publié sur sa chaîne Youtube un documentaire sur lui-même. Il se met en scène en bûcheron viril qui coupe du bois au crépuscule, la hache bien en main. Il se montre profondément inquiet pour la nation, à cause des «Autres». Les autres sont, eux, inquiets à cause de lui. Après ce dimanche, sans doute encore plus.