Les militants sont désespérés
L'opposition russe se déchire sur des dossiers compromettants

Les querelles internes entre les camps de Navalny et Khodorkovski affaiblissent l'opposition russe en exil. À Berlin, une maigre manifestation anti-Poutine contraste avec un rassemblement massif pro-Moscou, révélant la division et la frustration des militants.
Publié: 11.10.2024 à 10:15 heures
L'activiste Natalia Ivanova était à Berlin, le 3 octobre 2024 dernier. Depuis des semaines, les différentes factions de l'opposition fragmentée et exilée au régime du président Vladimir Poutine se déchirent autour de dossiers compromettants dans une guerre de «kompromat», ou «saletés».
Photo: AFP
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AFP Agence France-Presse

Depuis des semaines, différents courants de l'opposition russe en exil se déchirent à coups de dossiers compromettants, une guerre des «kompromats» qui exaspère des militants désireux de revenir à l'essentiel: la lutte contre Poutine et le soutien à l'Ukraine.

Au milieu de ces querelles incessantes, notamment entre le camp du défunt opposant Alexeï Navalny et celui de l'ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski, l'action militante semble passer au second plan.

«Soutenir l'Ukraine contre Poutine»

Comme à Berlin, le 3 octobre, porte de Brandebourg. Ce jour-là, dans la capitale allemande – où nombre de Russes anti-Poutine et d'Ukrainiens ont trouvé refuge – ils ne sont qu'une trentaine à peine pour une manifestation contre le Kremlin. Pas assez pour faire de l'ombre aux milliers de personnes rassemblées non loin de là, à l'appel de Sahra Wagenknecht, figure de l'extrême gauche allemande aux sympathies pro-Moscou, qui demande l'arrêt du soutien militaire à l'Ukraine.

Alguimantas Chavchine, un Russe de 34 ans, tient un bout de carton ramolli par la pluie sur lequel est écrit: «Soutenir l'Ukraine contre Poutine.» Il s'attriste que l'opposition russe ne se soit pas fédérée autour de cette cause. Selon ce militant, arrivé fin 2023 en Allemagne, l'opposition russe a «perdu en autorité» en n'appelant pas «clairement à la livraison de plus d'armes à l'Ukraine» et en ne soutenant pas «une résistance russe qui organise des sabotages en Russie».

L'opposition échoue aussi, note-t-il, à motiver des dizaines de milliers d'exilés russes antiguerre qui ont «l'impression que leurs voix ne peuvent résonner». Un agacement accentué par le fait que les mouvements anti-Kremlin passent beaucoup de temps à s'affronter, par réseaux sociaux interposés, en versant même parfois dans la haine et la violence.

Attaque au marteau

Mi-septembre, le Fonds de la lutte contre la corruption (FBK) d'Alexeï Navalny a publié une enquête aux accusations extrêmement graves visant le camp rival, celui de Mikhaïl Khodorkovski. Le FBK affirme que l'homme d'affaires Léonid Nevzline, proche de l'ex-oligarque qui a passé 10 ans dans les geôles russes, d'avoir commandité une attaque au marteau en Lituanie, en mars 2024, contre Léonid Volkov, l'ancien bras droit d'Alexeï Navalny.

Selon le FBK, Léonid Nevzline aurait également commandité une agression contre Ivan Jdanov, un autre proche de Navalny, à Genève, en juin 2023, et contre la femme d'un économiste qui avait été frappée par un inconnu, en Argentine, à l'automne 2023.

Nouveau scandale

L'organisation fonde ses révélations sur des extraits de la correspondance de Léonid Nevzline qu'elle aurait obtenus auprès d'un sombre personnage, Andreï Matous. Or, ce dernier est connu pour avoir travaillé avec le FSB, les services russes. Mikhaïl Khodorkovski, qui dément toute implication, estime que le FBK a pu se faire manipuler par des agents de Moscou.

Début octobre, nouveau scandale. Un autre opposant exilé, en conflit avec le camp Navalny, Maxime Katz, lance son «kompromat». Il accuse le FBK de couvrir les machinations de banquiers véreux ayant volé l'argent de clients en Russie. De quoi, si les faits sont avérés, miner la crédibilité d'un mouvement fondé sur la lutte contre la corruption du Kremlin.

«Tous dans la même tranchée»

Interviewé le 2 octobre par l'AFP, Mikhaïl Khodorkovski s'est efforcé de minimiser ces conflits: «C'est naturel dans une situation où il reste encore un temps indéfiniment long avant que le régime ne soit vaincu.»

Kira Iarmych, la porte-parole de la veuve d'Alexeï Navalny, Ioulia Navalnaïa, qui a pris le relais de son mari après sa mort dans une prison de l'Arctique russe, n'a, elle, pas répondu aux sollicitations de l'AFP. A la porte de Brandebourg, le 3 octobre, la poignée de militants qui fustigent l'invasion de l'Ukraine et la répression en Russie fait grise mine.

Olga Galkina, une militante originaire de Saint-Pétersbourg, s'efforce, micro à la main, d'animer l'évènement. Elle se désole également des guerres que se livrent les opposants. «On est tous dans la même tranchée!, dit-elle. Tant qu'on ne pourra pas rentrer en Russie y faire de la politique, on ne peut pas se permettre de se disputer.»

Travailler sans se disputer

L'opposant Ilia Iachine, emprisonné en Russie pour avoir condamné l'invasion et libéré lors d'un échange de prisonniers en août, s'est lui rendu récemment en Pologne pour une conférence à l'université de Varsovie, devant environ 250 personnes.

Une réfugiée ukrainienne du Donbass l'interroge sur cette opposition russe divisée, lui qui sait entretenir des relations courtoises avec les divers courants. Dans un aveu d'impuissance, il reconnaît ne pas savoir comment rassembler tous les mouvements, ni même comment leur demander de «faire la paix» sans être entraîné dans ces conflits.

«Ces bagarres semblent tellement insignifiantes», par rapport au calvaire de l'Ukraine et de la répression en Russie, lâche Ilia Iachine, qui voudrait voir la guerre cesser et Poutine traduit en justice. «La seule chose que je peux faire, c'est montrer qu'on peut travailler (...) sans se disputer», conclut-il. 

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