«L'Arabie saoudite est le nouveau grand acteur du Golfe.» C'est ce qu'affirme Suhail El Obeid, Senior Consultant Middle East auprès du promoteur du commerce extérieur Switzerland Global Enterprise (SGE), à Zurich. Certes, les Emirats arabes unis sont encore le principal partenaire commercial de la Suisse au Proche-Orient. Mais cela ne durera guère.
L'Arabie saoudite se trouve au milieu d'un grand bouleversement. Pendant 60 ans, le pays s'est focalisé sur la production de pétrole. Mais les réserves sont limitées et le prix du pétrole est volatil. De plus, les combustibles non fossiles s'imposent de plus en plus face au changement climatique.
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En 2016, l'Arabie saoudite a donc formulé la «Vision 2030». Le pays entend ainsi réduire sa dépendance au pétrole. Plus encore: d'ici 2030, l'Arabie saoudite doit devenir le pays leader du monde islamique, une plaque tournante dans les échanges économiques des trois continents Europe, Asie et Afrique. Les 36 millions de Saoudiens pourront à l'avenir profiter d'une économie moderne et diversifiée.
Comment cela va-t-il se mettre en place?
L'Arabie saoudite alimente le processus de transformation avec d'énormes quantités d'argent. Le royaume est assis sur un trésor en devises de 464 milliards de dollars.
Cet argent est investi aussi bien à l'étranger que dans le pays. Un projet connu est Neom, une immense région métropolitaine avec un parc technologique attenant dans le nord-ouest du pays, qui sort du désert. Le projet a été initié par le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman.
«Neom fait l'objet de critique de folie», explique Suhail El Obeid. Des projets comme The Line - une ville de 170 kilomètres de long mais de seulement 200 mètres de large entre des murs de verre de 500 mètres de haut - sont parfois rejetés comme des fantaisies mégalomaniaques. Mais le consultant assure toutefois: «Les fondations pour les premiers kilomètres sont déjà posées.»
Interdépendance avec la Suisse
Qu'est-ce que cela signifie pour la Suisse? Les échanges économiques avec notre pays s'intensifient à vue d'œil. En 2021, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays était de 3,1 milliards de francs, contre 2,2 milliards en 2020. Il faut s'attendre à une poursuite de la croissance, explique Suhail El Obeid.
La Suisse exporte en premier lieu des «biens classiques» tels que des produits pharmaceutiques, des montres et des machines vers l'Arabie saoudite. En revanche, ce ne sont pas le pétrole et le gaz qui sont envoyés dans le sens inverse, mais des produits miniers (minerai de fer, cuivre, aluminium et autres) ainsi que des produits chimiques. Selon Suhail El Obeid, cela ne changera pas pour l'instant.
Tout le monde veut aller en Arabie saoudite
En revanche, le volume des affaires, lui, change. «Il y a quelques années, les entrepreneurs suisses voulaient surtout faire des affaires à Dubaï, désormais ils veulent faire des affaires en Arabie saoudite.» Selon Suhail El Obeid, environ 70% des demandes de placement adressées à la SSN au Proche-Orient concernent l'Arabie saoudite.
Le pays pousse cette évolution avec le «Regional Headquarter Program». Celui qui souhaite obtenir des marchés publics lucratifs doit transférer son siège social au Moyen-Orient, en Arabie saoudite. L'intérêt est grand. Selon le consultant, de plus en plus d'entreprises transfèrent leur siège régional de Dubaï à Riyad.
Un grand potentiel pour les Suisses
L'argent circule aussi dans l'autre sens. L'entrée au capital de Crédit Suisse a récemment fait les gros titres. La Saudi National Bank, qui appartient à 80% à l'Etat, y a pris part. De son côté, Sabic (Saudi Basic Industries) a pris une participation dans le groupe chimique bâlois Clariant. Ce dernier appartient à Saudi Aramco, le plus grand groupe pétrolier mondial, également une entreprise publique.
Le fonds souverain saoudien PIF (Public Investment Fund) est également actif dans le monde entier avec une fortune actuelle de 320 milliards de dollars. Ces derniers temps, il a surtout fait parler de lui pour ses investissements dans le sport. Le footballeur Cristiano Ronaldo a été transféré dans le championnat saoudien, le FC Newcastle ou la ligue de catch WWE font désormais partie du portefeuille du PIF. L'objectif: accueillir un jour la Coupe du monde de football ou les Jeux olympiques.
Suhail El Obeid interprète les engagements sportifs comme des «transporteurs de la vision d'avenir de l'Arabie saoudite». Christian Lang, expert en marketing sportif, soupçonne surtout l'objectif de détourner l'attention des dysfonctionnements dans son propre pays et d'utiliser le rayonnement du sport pour sa propre commercialisation.
Les affaires avant tout
L'infrastructure nécessaire est déjà en place. L'énorme volonté d'investir ouvre de nombreuses opportunités commerciales, y compris pour les entreprises suisses. Certaines d'entre elles seraient déjà activement impliquées dans les nombreux projets d'infrastructure en Arabie saoudite. Suhail El Obeid ne peut pas révéler lesquelles. Peut-être parce que l'Arabie saoudite est un partenaire commercial délicat.
L'Etat du désert est dirigé par un régime autoritaire qui a une assez mauvaise réputation en matière de droits humains. Mais ce point est loin d'inquiéter ses partenaires économiques. «Après l'affaire de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018, les investisseurs suisses se sont temporairement retirés, explique l'homme. Cela a été vite oublié. Maintenant, tout le monde veut à nouveau faire des affaires.» Selon lui, les enjeux politiques ne sont généralement pas abordés dans le monde du business.
L'Arabie saoudite est en train de façonner activement son avenir après le pétrole. Dans ce contexte, du point de vue des Saoudiens, des voix critiques ne feraient que déranger.