«L’esprit de Genève» souffle sur les pays musulmans d’Afrique francophone. Telle est en tout cas la volonté des organisateurs de la troisième Conférence africaine pour la paix qui vient de se tenir du 17 au 19 janvier à Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Soutenu financièrement par les Émirats arabes unis, ce forum annuel ambitionne, depuis 2020, d’appuyer la lutte contre la radicalisation islamique dans la région du Sahel et au-delà, en donnant la parole aux responsables religieux des pays concernés qui se dressent contre l’extrémisme et s’efforcent d’en démonter les mécanismes.
Cette conférence a réuni les présidents mauritanien, Mohamed Ould Cheikh Al-Ghazouani, et nigérian, Mohamed Boukhari. Elle s’inscrit parmi les initiatives du «Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes» sous l’égide du président du Conseil des Émirats pour la Fatwa et du Forum d'Abou Dhabi pour la paix, Cheikh Abdallah bin Bayyah, 88 ans. Initiateur de ce forum, cet érudit d'origine mauritanienne basé entre l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, est très suivi dans le monde musulman où ses avis font autorité. Le journaliste Lemine Ould Salem, spécialiste du sujet, le présente même comme « l'une des rares sommités religieuses musulmanes influentes dans les pays du Golfe qui n'est pas issue des courants wahabbites ou salafistes».
Des centaines d’Imams et de théologiens
Trois jours durant, des tables-rondes se sont succédé au Centre des congrès Mourabitoune de Nouakchott, regroupant des centaines d’Imams et de théologiens, sur des thèmes comme «Les oulémas et les jeunes, quel dialogue possible?», «Le rôle des filles et des femmes dans l’Islam en Afrique», «Le patrimoine africain, une source de paix» ou «La paix et la prévention: agir en amont». Mais comment faire en sorte que ces initiatives locales obtiennent un écho international et s’intègrent dans les stratégies de développement défendues par les institutions des Nations unies?
Genève, au centre de la paix au Sahel?
C’est dans ce but qu’a été créée à Genève, le 25 mai 2022, une fondation dédiée, destinée à promouvoir des actions et événements en lien avec cette Conférence africaine pour la paix. Ses représentants sont intervenus à Nouakchott. Il s’agira, pour cette fondation de droit suisse, «de mettre en œuvre des programmes de développement et à soutenir des initiatives pour un dialogue inclusif constructif, qui intègre la médiation, la consultation et l’arbitrage en vue de préserver la jeunesse du continent de l’extrémisme». Ses statuts précisent également que son seul but «est de servir les besoins spécifiques dans le domaine de la promotion de la paix, des droits humains et du dialogue interculturel et religieux dans l’indépendance la plus stricte». Cette fondation qui entend interagir dans la Genève internationale est domiciliée 2 avenue Henri Dunant, en l'étude Dieng-Studer.
Trois des responsables de cette fondation «Conférence africaine pour la paix» étaient à Nouakchott pour présenter leur initiative et anticiper un calendrier d’événements pour 2023-2024. L’avocate genevoise Ndaté Dieng, du cabinet Dieng-Studer, en est la vice-présidente. «Nous voulons placer la question de l’Islam, fabrique de paix, au cœur du débat multilatéral, confirme à Blick un responsable de la conférence. L’association systématique de la religion à la violence alimente les pires engrenages.» Autres animateurs de cette nouvelle institution: le vice-président du Geneva Geostrategic Observatory Ventzeslav Sabev et l’universitaire franco-mauritanien Mohamed Levrack, basé à Onex.
Contrer la perception souvent négative de l’Islam en Afrique
Seront-ils en mesure de contrer la perception souvent négative de l’Islam en Afrique, où la religion est le plus souvent associée au djihadisme dans les pays du Sahel, de plus en plus déstabilisés par les groupes armés qui profitent de la précarité des populations abandonnées par les États face aux menaces du réchauffement climatique et aux luttes interethniques pour l’accès aux ressources. «La question des femmes est centrale dans ce processus, poursuit Ndaté Dieng. Plus les pays de la région sahélienne avanceront vers la parité, conformément au poids des femmes dans la population, plus le thème de la réconciliation s’imposera. Genève et ses institutions internationales vont nous servir de caisse de résonance.»
La troisième Conférence africaine pour la paix montre l’inquiétude croissante des capitales sahéliennes face à l’instabilité djihadiste, au moment où l’armée française se retire progressivement de cette zone. Pour la plupart des orateurs présents à Nouakchott, le bilan de la présence militaire française au Mali (où Paris avait envoyé ses troupes en 2013 pour empêcher la chute de Bamako, jusqu’à ce que l’actuel gouvernement pro russe, soutenu par la milice Wagner, réclame et obtienne leur départ en 2022) est très mauvais. «L’État malien n’a pas du tout été consolidé par cette intervention. Il s’est au contraire encore plus disloqué, explique un ministre mauritanien. L’armée française a, de facto, couvert la prédation des ressources par quelques familles et clans. La sécurité au sens large ne s’est pas améliorée en presque dix ans de présence.»
Remettre à l’agenda le thème de la sécurité humaine
L’antenne genevoise de la Conférence africaine pour la paix vise à remettre à l’agenda multilatéral un thème mis à mal par la pandémie de Covid-19 puis par la guerre en Ukraine et les tensions commerciales ou énergétiques mondiales: la sécurité humaine. Les ramifications de cette institution dans l’Islam africain et sa capacité à promouvoir un discours de modération religieuse sont de ce point de vue une opportunité.
L’esprit de Genève deviendra-t-il, symboliquement, une source d’inspiration pour ceux qui se battent, sur le terrain, pour réformer l’Islam?