RAS pour MBS. Voilà le titre du feuilleton diplomatique et géopolitique qui se joue ces jours-ci entre le royaume d’Arabie saoudite et les démocraties occidentales. Plus question d’ostraciser Mohammed ben Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, alias MBS, le prince héritier saoudien âgé de 36 ans, directement responsable de l’assassinat de l’opposant et journaliste Jamal Khashoggi, tué puis découpé dans les locaux du consulat saoudien à Istanbul le 2 octobre 2018. Vilipendé aux États-Unis et en Europe après le meurtre, commis par des agents saoudiens, le prince ( contre lequel deux plaintes ont été déposées en France) a nié toute implication dans l’opération, tout en acceptant une responsabilité symbolique.
Puis la guerre en Ukraine, et la dépendance énergétique de l’Europe sont passées par là. MBS a, comme Vladimir Poutine, la main sur le robinet vital des hydrocarbures. A la différence que l’Arabie saoudite, producteur d’or noir ex aequo avec la Russie (environ 550 millions de tonnes de pétrole brut par an), est un fournisseur fiable et ami de l’Occident…
Palais sur la Côte d’Azur
Pas étonnant, dès lors, que Mohammed ben Salmane, dont la famille royale possède un palais sur la Côte d’Azur à Vallauris Golfe-Juan, près de Cannes, fasse escale à Paris pour y être reçu à dîner par Emmanuel Macron à l’Elysée. Il lui suffirait d’ailleurs de faire quelques pas, sous haute protection, pour se rendre depuis le palais présidentiel à l’hôtel Crillon voisin, sur la place de la Concorde, propriété depuis 2010 de l’un de ses 35 frères et sœurs, le prince Moutaïb ben Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud.
Autant dire que MBS est presque chez lui en France, où l’un de ses rivaux, le prince milliardaire Al-Walid, possède l’hôtel Georges V à proximité des Champs-Elysées. Lui même possède, depuis 2015, un chateau de style Louis XIV à Louveciennes, prés de Paris, acheté 275 millions d'euros. C'est là qu'il pourrait d'ailleurs passer la nuit, après le diner présidentiel.
Preuve que les pays du golfe Persique sont désormais les acteurs incontournables des coulisses énergétiques de la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron a reçu, voici quelques jours, le nouveau président des Emirats arabes unis, Mohammed ben Zayed. Pour lui parler, entre autres, de la présence de nombreux oligarques russes à Dubaï ou Abu Dhabi, afin d’y échapper aux sanctions européennes et américaines. Le maréchal égyptien Al Sissi a aussi fait escale à l'Elysée.
MBS, nouveau roi de France?
MBS, nouveau roi de France? La question est saugrenue. Mais le fait est qu’elle peut se poser, y compris pour d’autres pays européens. L’accueil chaleureux que lui a réservé en Grèce le premier Ministre Kyriákos Mitsotákis a souligné le deuxième volet de cette tournée européenne du prince héritier: replacer l’Arabie saoudite dans le jeu diplomatique face à la Turquie. Les deux pays sunnites ont des ambitions géopolitiques mondiales.
Ankara a besoin de l’argent de Riyad pour encaisser les chocs économiques consécutifs à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Athènes, qui se méfie toujours de son voisin turc, cherche des alliances arabes pour contrebalancer l’influence du «sultan» Recep Tayyip Erdogan. Et tous les pays occidentaux ont la même demande: obtenir de l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial d’or noir, une augmentation de sa production pétrolière de 13,2 à 13,5 millions de barils par jour, voire plus. Un objectif accepté par MBS pour les prochaines années. Alors que le temps presse, pour l’Union européenne étranglée par le Kremlin sur le plan énergétique.
La politique du chéquier
L’autre atout maître du prince saoudien est que son pays a de quoi signer de gros chèques pour des contrats d’équipements ou d’armements, passés aux entreprises occidentales. En 2020, en pleine pandémie, le royaume a acheté pour près de trois milliards de dollars de missiles à l’américain Boeing. Et en 2021, l’Arabie saoudite est officiellement devenu le premier client des arsenaux français, avec 703 millions d’euros de contrats.
La conséquence de cette politique du carnet de chèques, que les autorités de Riyad pratiquent depuis des décennies, est qu’elle a complètement mis sous le boisseau le terrible conflit au Yémen, où les alliés des Saoudiens – contre les milices houthis soutenues par l’Iran chiite – utilisent des armes occidentales malgré les mesures d’embargo. Remisé aussi dans les caves de la diplomatie ou presque, le sort du Liban, cher à Emmanuel Macron, où la bataille Iran/Arabie saoudite par acteur local interposé, bat également son plein. En visite en décembre 2021 à Riyad, le président français avait clairement tourné la page. L'heure est au retour en force de la coopération avec l'Arabie saoudite, considérée comme un allié de l'occident sur le dossier nucléaire iranien.
NEOM, mégapole futuriste et contrats mirifiques
Les démocraties, otages de ce prince prêt à tout pour préserver son pouvoir, comme l’a montré le meurtre de Jamal Khashoggi? La réponse est oui. Finies les prédictions critiques des observatoires comme celles du centre américain Carnegie qui, en 2021, estimait que «malgré leurs origines diverses, les figures de l’opposition saoudienne ont trouvé un terrain d’entente en s’unissant contre l’autoritarisme du prince héritier Mohammed ben Salmane […]. Ils fournissent une contre-rhétorique du gouvernement au niveau international».
L’étau de la guerre en Ukraine a fait basculer le rapport de force. Désormais, MBS apparaît incontournable et intouchable, ravi de présenter au monde entier les plans de NEOM, son projet hors norme de ville futuriste. Avec, à la clé, d’autres salves de contrats tous plus mirifiques les uns que les autres.