En Autriche, les crises gouvernementales s’enchaînent, alors qu’en Suisse, tout semble stable. C’est en tout cas le ressenti des observateurs politiques à Vienne, qui qualifient notre système politique d’ennuyeux – mais d’un ennui rassurant! Il faut dire que la vie politique autrichienne s’apparente aux montagnes russes. Changements en série de ministres, scandales de corruption, enquêtes visant des personnalités de premier plan: la confiance des Autrichiens en leur système politique est ébranlée.
Après la victoire électorale du FPÖ (Parti de la liberté d'Autriche), le parti populiste de droite dirigé par Herbert Kickl, les négociations pour former un gouvernement ont duré plus de cinq mois. Un record. Ce n’est qu’au deuxième essai que le parti conservateur ÖVP (Parti populaire autrichien), mené par Christian Stocker, est parvenu à former une coalition tripartite. Entre-temps, Herbert Kickl était pressenti pour devenir chancelier. L’épuisement laissé par ces mois agités est palpable dans le pays.
En Autriche, beaucoup aspirent à davantage de stabilité, et donc à un modèle politique semblable à celui de la Suisse. Ici, pas de renversement soudain du gouvernement, ni de longues négociations pour former des coalitions. Des règles non écrites s’appliquent: toutes les grandes forces politiques doivent être représentées au Conseil fédéral. Et en principe, les membres en place sont reconduits dans leurs fonctions s’ils souhaitent rester.
«Le meilleur système démocratique au monde»
Une telle formule pourrait-elle fonctionner en Autriche? Certains initiés en sont convaincus. Le conseiller politique et publiciste Wolfgang Rosam, proche de l’ÖVP, a ouvert le débat. Il a dénoncé une «performance politique misérable» dans un long article publié récemment dans le quotidien «Der Standard», dans lequel il appelle à un véritable «nouveau départ pour l’Autriche». A ses yeux, les problèmes viennent aussi du système lui-même.
La Suisse, écrit-il, représente «probablement le meilleur système démocratique au monde» aujourd'hui. L’Autriche aurait, selon lui, besoin d’un modèle similaire, qui intégrerait tous les partis élus dans une responsabilité gouvernementale et les obligerait à rechercher le consensus.
Wolfgang Rosam poursuit: «En Suisse, les politiciens ne se prennent pas pour des stars.» En Autriche, on ignore souvent les noms des ministres suisses, tant la politique y est avant tout un outil de gouvernance. Elle est conçue, explique-t-il, pour garantir le bon fonctionnement de l’économie, soutenir la recherche scientifique et donner aux citoyens une confiance solide en eux-mêmes, en leur offrant le plus d’autonomie possible.
«La Suisse ne veut pas produire de superstars»
En fait, nos sept conseillers fédéraux sont pratiquement inconnus en dehors de la Suisse. L'édition autrichienne du magazine économique «Forbes» a récemment résumé la situation: «La Suisse n'est pas un pays qui glorifie des individus. La structure est conçue pour que des politiciens 'méconnus' dirigent le pays dans un système basé sur le consensus.»
Cela conduit certes à une stabilité à long terme, mais aussi à quelque chose «d'ennuyeux». Selon «Forbes», on pourrait presque dire que «la Suisse ne veut pas produire de superstars, que ce soit en politique, en économie ou ailleurs». Il y a déjà plusieurs mois, l’entrepreneur autrichien Thomas Salzer avait pris les devants en appelant à un débat ouvert sur la création d’un «gouvernement de concentration sur le modèle suisse». Mais dans le même temps, il exprimait peu d'enthousiasme dans les colonnes du «Standard». Lui-même y croyait peu: «Je ne pense pas que cela soit réalisable», confiait-il.
«C'est ennuyeux, mais ça fonctionne»
Rien ne garantit que l’Autriche s’oriente réellement vers un système politique inspiré de la Suisse. D’ailleurs, les observateurs viennois ont tendance à oublier que, du côté de Berne, tout ne fonctionne pas non plus parfaitement. Le président autrichien Alexander Van der Bellen s’est vu poser la question en début d’année, lors d’une visite de Karin Keller-Sutter: le «modèle suisse» pourrait-il être une solution à l’instabilité politique autrichienne? Sa réponse était claire: «Je ne peux que mettre en garde contre l’idée de copier un autre pays les yeux fermés.»
Du point de vue de Karin Keller-Sutter, les deux systèmes ne sont pas vraiment comparables. «Je dois dire que plus je vis dans ce système, plus j’en apprécie les qualités», a-t-elle expliqué, en évoquant notamment l’élection fluide des nouveaux membres du Conseil fédéral. «C’est follement ennuyeux vu de l’extérieur, mais ça fonctionne.»