«Je te contacterai demain quand je serai en Turquie.» Ce sont les derniers mots que Shima Babaei a entendus de son père Ebrahim Babaei. Le 21 décembre 2021, le vétérinaire iranien et opposant au régime a tenté de fuir son pays en traversant la frontière turque avec 25 autres personnes. Et la nouvelle tant attendue annonçant le père de Shima Babaei en sécurité n'est toujours pas arrivée.
Il y a quelques mois, un homme qui avait fait partie du groupe de réfugiés l'a toutefois contactée. Il lui a raconté que les forces de sécurité iraniennes les avaient repérés et arrêtés et qu'il avait passé 24 heures en prison avec son père. Il ne sait pas ce qui lui est arrivé ensuite.
Depuis un an et demi, Shima et sa famille vivent dans l'incertitude. «Je ne sais pas où est mon père, ce qu'il mange, ce qu'il porte. S'il est encore en vie ou s'il a été tué», déplore-t-elle auprès de Blick L'incertitude est douloureuse, et la colère monte. «Refuser de donner des informations sur les proches fait partie des méthodes de torture du régime», déclare la jeune femme.
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Témoin d'exécutions
Lors du Geneva Summit for Human Rights and Democracy de cette semaine, Shima Babaei a raconté l'histoire de son père. Lors d'un entretien avec Blick, elle a également parlé de son propre combat contre le régime qui a persécuté sa famille et opprimé les femmes. «Je viens d'un pays où être une femme est un crime.»
Sa résistance active a commencé lorsqu'elle avait 14 ans. Elle a vu son père se faire fouetter et des bourreaux exécuter des condamnés à mort. Ebrahim Babaei, qui soutenait sa fille dans sa protestation, avait été condamné à six ans de prison et 74 coups de fouet, entre autres pour «diffusion de propagande contre le système» et «perturbation de l'opinion publique». «Je n'avais le droit de rendre visite à mon père en prison qu'une fois par semaine, uniquement derrière une vitre.»
Les cheveux comme arme
Elle aurait saisi toutes les occasions qui s'offraient à elle de sortir dans la rue sans foulard et de poster des photos d'elle sur les médias sociaux. «Les vêtements que je portais étaient des vêtements de guerre. Et à l'extérieur de la maison, c'était mon champ de bataille.» Son arme: les cheveux détachés.
«Il n'a pas fallu longtemps pour qu'ils arrivent», raconte-t-elle. Au total, elle a été arrêtée cinq fois et a également passé une longue période à l'isolement dans la tristement célèbre prison d'Evin. Elle avait été interrogée dans le bâtiment où Mahsa Amini a été tuée en septembre 2022.
Depuis l'assassinat de la jeune Iranienne, de violentes manifestations ont vu le jour ces derniers mois et leur répression a déjà fait 530 morts. Plus de 500 personnes ont reçu – apparemment intentionnellement – des balles en caoutchouc dans les yeux afin de les rendre aveugles. Plus de 100 manifestants risquent la peine de mort.
Sur les manifestations en Iran
Parce que l'étudiante en architecture risquait une peine d'emprisonnement de six ans, une interdiction de voyager et la déchéance de sa nationalité, Shima Babaei a fui l'Iran en 2018 en courant les plus grands dangers. «Les gardes-frontières m'ont tiré dessus à plusieurs reprises!» Ce n'est qu'après avoir gravi une montagne qu'elle aurait fait une pause. «Je me suis arrêtée et j'ai regardé une dernière fois en arrière, vers ma mère patrie que j'aimais tant et que j'ai pourtant dû quitter.»
Les félicitations d'Emmanuel Macron
Aujourd'hui, elle vit avec son mari iranien en Belgique, où elle lutte depuis son exil contre la discrimination sexuelle dans son pays. «Chaque personne doit s'habiller comme elle le souhaite, tonne-t-elle. Et chaque femme doit décider elle-même si elle veut mettre un foulard ou non.»
Depuis le regain de protestations en Iran, Shima est considérée comme l'une des voix les plus en vue à l'étranger. Le président français Emmanuel Macron l'a personnellement félicitée pour son engagement.
Elle espère qu'«être une femme dans [son] pays ne sera bientôt plus un crime» et qu'elle pourra retourner dans son pays bien-aimé. Car malgré une répression massive, le régime ne parvient pas à écraser l'opposition. «De plus, il y a aussi des querelles entre les dirigeants.»
«Le combat est un devoir»
Si l'espoir de voir le régime tomber nourrit les Iraniens depuis plusieurs années, ce n'est pas encore gagné. Les dirigeants du pays n'hésitent pas à utiliser la force. Ce vendredi matin, le régime a à nouveau fait exécuter trois manifestants, accusés d'avoir tué trois membres des forces de sécurité lors de manifestations à Ispahan en novembre 2022. Amnesty International rapporte que les aveux ont été obtenus sous la torture.
Le Geneva Summit for Human Rights and Democracy a décerné son prix des droits des femmes à Shima Babaei. L'Iranienne a remerci l'assemblée pour cette «distinction spéciale» pour son combat. «Ce combat n'est pas mon choix, c'est mon devoir», a-t-elle tenu à souligner.