La Russie en embuscade
C'est au fond de la mer Baltique que l'Europe est la plus vulnérable

L'interpellation d'un navire russe par la Finlande, après une panne sur un câble électrique sous-marin, révèle la fragilité des infrastructures européennes. La Russie tend un piège.
Publié: 27.12.2024 à 21:08 heures
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Cette photo prise le 12 octobre 2015 montre le câble de télécommunication sous-marin C-Lion1 posé au fond de la mer Baltique par le navire câblier «Ile de Brehat» au large d'Helsinki, en Finlande. L'Allemagne et la Finlande ont déclaré le 18 novembre 2024 qu'elles étaient «profondément préoccupées» par le fait qu'un câble de télécommunication sous-marin reliant les deux pays ait été sectionné.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils sont enfouis parfois à plus de 300 mètres de profondeur. Ils sont indispensables à notre vie quotidienne. Ils tiennent en otage tous les pays riverains de cette mer que l’immense Russie a toujours considérée comme son arrière-cour. Tout ce que la mer Baltique compte de câbles et de tuyaux posés sur ses fonds marins constitue une fragilité stratégique majeure pour les pays européens.

La preuve? Le niveau d’inquiétude engendré en Finlande et en Suède, deux ex-pays neutres désormais membres de l’OTAN, par la panne d’un câble électrique cette semaine. Une panne attribuée soit à un accident, soit aux opérations clandestines de sabotage que mènerait une flotte «fantôme» russe, constituée de chalutiers et de navires-citernes destinés à contourner l’embargo commercial sur les hydrocarbures en provenance de Russie.

Le premier coup de semonce intervenu en mer Baltique, depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, a bien sûr été l’explosion du gazoduc Nord Stream, le 26 septembre de cette même année. Ce jour-là, l’Union européenne (UE) découvre que son flanc nord peut, à tout moment, devenir un champ de bataille naval et sous-marin de première importance. Les différentes enquêtes ont depuis lors étayé les soupçons contre les services spéciaux ukrainiens. D’après le «Wall Street Journal», l’opération aurait même été validée au plus haut niveau à Kiev, y compris au départ par le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Fausse avarie sous-marine

Une guerre (très) froide en mer Baltique? Rien de neuf pour les analystes et les experts des questions de défense, attentifs aux allées et venues des sous-marins russes, mais aussi à leurs démonstrations de force ou à leurs ruses. 

En août 2021, un sous-marin nucléaire russe, le K-266 Orel, est soupçonné d’avoir simulé un dommage dans les eaux du Danemark. Aussitôt, l’alerte est donnée et une opération militaire d’ampleur est déclenchée, comme cela avait été le cas en 2014. Des bateaux furtifs, des dragueurs de mines et des hélicoptères quadrillent la surface de cette mer de 377'000 km2 qui nargue le cercle polaire. Depuis, le branle-bas de combat est quasi permanent.

Pavillon de complaisance

La question soulevée par l’affaire du câble électrique reliant la Finlande à l’Estonie, tombé pile en panne le jour de Noël, n’est toutefois pas du même ordre. Le danger, ici, ne vient pas de navires militaires classiques. Le pétrolier arraisonné par les autorités finlandaises, l’Eagle S, est immatriculé dans les îles Cook, une terre connue pour ses pavillons de complaisance prisée des armateurs. Il transportait officiellement «de l’essence sans plomb chargée dans un port russe».

Le câble incriminé pourrait avoir été endommagé par l’ancre du vaisseau. Mais quelle était la vraie mission de ce navire? Il ferait partie d’une force navale dédiée au ciblage des infrastructures énergétiques et de communication dans le contexte de la «guerre hybride» entre la Russie et les pays occidentaux. 

Quelques semaines plus tôt, fin novembre, un navire chinois, le Yi Peng 3 avait été poursuivi, intercepté et arraisonné par le navire de la marine danoise Y311 Søløven, après la destruction de deux câbles de télécommunications sous-marins reliant la Finlande à l’Allemagne, et la Suède à la Lituanie.

Interdépendance régionale

La fragilité de cette région tient son interdépendance à la proximité du territoire russe, et à la fine connaissance de la Baltique par la marine de l’ex-URSS. «Couvrant près d’un tiers de la superficie de l’UE, mais seulement 17,9% de la population de l’UE, la région de la mer Baltique englobe un groupe de pays caractérisés par un haut degré d’interdépendance, avec une tradition de coopération remontant à la fin du Moyen Âge et à la Ligue hanséatique» résume, un tantinet poétique, l’introduction à la stratégie de l’UE adoptée en octobre 2022, quelques mois après l’assaut russe sur Kiev. Or, la réalité est que cet ensemble n’était pas prêt à être le théâtre d’une nouvelle guerre froide.

«La suspension de la coopération avec la Russie et le Bélarus à la suite de l’invasion de l’Ukraine par Moscou a créé un obstacle à la résolution des principaux problèmes de la région», poursuit le rapport de l’UE. Lequel s’inquiète, outre des tensions militaires, du fait que «la Russie ne participe plus aux efforts collectifs de lutte contre la pollution». En bref: tout, de l’écosystème naturel aux infrastructures sous-marines, est très vulnérable en mer Baltique.

Deux accidents en novembre

Les accidents survenus en novembre dernier sur deux de ses câbles sous-marins, C-LIon et BCS East-West Interlink, n’ont pas encore été élucidés. Prudente, l’association européenne des câbles sous-marins (European Subsea Cables Association), un organisme industriel, affirme qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour tirer une conclusion claire. Reste que la géographie des lieux démontre le risque. De nombreux câbles de courte distance posés sur les fonds marins sont alimentés à partir de hangars côtiers et de petites stations faciles à viser et à mettre hors d’usage.

Comment les protéger? La nouvelle Haute représentante de l’Union pour la politique étrangère, l’ancienne Première ministre estonienne Kaja Kallas, a promis un plan, assorti de sanctions contre la fameuse «flotte russe fantôme» qui compterait de 600 à 800 cargos, dont quelques-uns équipés d’équipements de haute technologie pour l’espionnage et le sabotage.

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