La haine des élites
Pourquoi Jair Bolsonaro peut l'emporter ce dimanche au Brésil

Dans son livre «Cauchemar brésilien», le journaliste français Bruno Meyerfeld donne toutes les clés pour comprendre le retour en force électoral du président brésilien sortant Jair Bolsonaro. Le second tour du scrutin présidentiel a lieu ce dimanche.
Publié: 29.10.2022 à 15:28 heures
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Dernière mise à jour: 30.10.2022 à 15:22 heures
L'ultime débat télévisé entre Jair Bolsonaro et son adversaire, l'ancien président Lula, s'est tenu vendredi 28 octobre. Sur TV Globo, la chaîne la plus regardée du pays, les deux candidats se sont accusés sans arrêt de mentir
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Richard WerlyJournaliste Blick

Et si Jair Bolsonaro l’emportait dimanche soir sur Luiz Ignacio Lula Da Silva, son adversaire qui présida le Brésil de 2003 à 2011? Le Chef de l’État brésilien sortant, élu en octobre 2018, a surpris tous les observateurs avec sa remontée électorale du premier tour, le 2 octobre dernier. 43,20% pour l’ancien officier de l’armée brésilienne, âgé de 67 ans. 48,4% pour l’ancien syndicaliste, qui fut longtemps l’incarnation de la gauche latino-américaine, de dix ans son aîné. Or cette surprise… n’a rien de surprenante après la lecture de «Cauchemar brésilien» (Ed. Grasset), le livre du journaliste Bruno Meyerfeld sur la présidence Bolsonaro.

Car une évidence s’impose au fil des pages: celui-ci a su, mieux que quiconque, flatter les travers du pays et s’imposer à coups d’outrances, toujours au service d’une même cause: la détestation des élites nourrie par les inégalités sociales, les colères populaires et leur exploitation par certaines «tribus», comme celle des puissantes églises évangéliques, dont l’épouse de Jair Bolsonaro est, comme son mari, une disciple fervente.

Rio, rêve oublié

«L’âge d’or des années 1950 et 1960 paraît bien loin. Rio n’est plus cette cité chic et glamour où se pressait l’élite mondiale. En trois décennies, la population de l’aire urbaine a doublé. 100'000 miséreux venus de l’intérieur débarquent chaque année pour tenter leur chance au bord des plages..».

La description de Rio de Janeiro par Bruno Meyerfeld, correspondant au Brésil pour «Le Monde», est un très bon résumé du changement radical de paradigme dans cet immense pays où la démocratie est aujourd’hui menacée. Tout s’écroule, dans la cité mythique dominée par le «Corcovado».

La réalité décrite par le journaliste est celle d’un pays qui s’est, malgré ses colossales ressources naturelles, peu à peu affaissé. Au point d'être aujourd'hui à genoux. Même l’armée, pour l’heure fidèle à la République, est en train de se déliter. Les luttes intestines entre les officiers pro-Bolsonaro et les autres font rage. «La démocratie et la liberté n’existent que quand les forces armées sont d’accord» a averti, au début de son mandat, Jair Bolsonaro, ancien capitaine. Or aujourd’hui, la possibilité de voir les hommes en uniforme, séduits par la rhétorique autoritaire, basculer du côté obscur de la force ne peut pas être écartée.

Le Brésil sur une pente de plus en plus glissante

La force du livre de Bruno Meyerfeld est qu’il ne verse pas dans le commentaire anti-Bolsonaro, même si sa lecture nous démontre l’incompétence crasse de ce Chef de l’État qui sera peut-être réélu ce dimanche. L’auteur raconte. Il descend avec nous cette pente de plus en plus glissante sur laquelle le Brésil semble engagé.

La pandémie de Covid-19, que Bolsonaro a longtemps niée et qu’il n’a jamais cherché à combattre, a accéléré ce délitement. «Sous financé, bureaucratique, désorganisé, le système de santé brésilien manque de tout… raconte-t-il. Un brésilien doit en moyenne parcourir 155 kilomètres pour trouver un hôpital capable d’offrir des soins complexes, notamment respiratoires (en Amazonie, cela peut aller jusqu’à 500 kilomètres en pirogue).»

Telle est la réalité implacable: le Brésil est un géant aux pieds d’argile que la mondialisation érode. Ses ressources naturelles sont exportées. Le sort de la forêt amazonienne indiffère la majorité de sa population. La corruption est une gangrène. Les évangélistes diffusent les pires rumeurs, toutes annonciatrices de catastrophes pour mieux prétendre sauver les âmes.

Pas de bien contre le mal

Bruno Meyerfeld aurait sans doute aimé écrire un autre livre. Un livre où le camp du bien et de Lula, celui de la gauche soutenue par les pays occidentaux, s’oppose au camp du mal. Mais son ouvrage démontre que tout est plus complexe.

«A quelques mois du scrutin, la priorité des élites financiaro-industrielles brésiliennes était d’éviter le retour d’un Lula revanchard» note le journaliste, qui narre la stupéfaction des sondeurs lorsque ceux-ci découvrent «que le capitaine (Bolsonaro) est devenu un candidat sérieux, populaire dans l’opinion».

Les condamnations judiciaires de Lula, toutes contestées devant les tribunaux par ce dernier, ont laissé des traces. La phrase qui tue est peut-être celle-ci, tirée d’un entretien entre l’auteur et un industriel: «Le capitaine est limité intellectuellement, mais il a l’air honnête». Tout est dit. Ce scrutin sera celui des apparences, grossies et déformées par les puissants médias télévisuels.

«Cauchemar brésilien»? Difficile de refermer ce livre sans s’inquiéter. L’État du pays est inquiétant. Au nord, aux Etats-Unis, la machine à rumeurs et à désinformation qu’est Donald Trump, héros de Bolsonaro, continue de fonctionner à plein. L’évidence est que la démocratie brésilienne est déréglée. Et que personne, à ce stade, ne sait comment la réparer.

A lire: «Cauchemar brésilien» de Bruno Meyerfeld (Ed. Grasset)
«Brésil, les colères d'un géant» de
Patrice Montagu-Williams (Coll. Ame des peuples, Ed. Nevicata)

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