Grand chapeau de cow-boy blanc sur la tête, santiags immaculées aux pieds, petits pas vers la droite puis la gauche impeccablement maîtrisés. Ce 25 décembre à Houston, au Texas, une artiste a volé la vedette de tout le monde en quelques secondes. Et non, il ne s’agit pas de Beyoncé, venue interpréter en live quelques titres de son dernier album, «Cowboy Carter» pour le match de NFL de Noël opposant les Texans locaux aux Ravens de Baltimore. Mais bien de sa fille, Blue Ivy Carter, 12 ans seulement (elle fêtera son 13e anniversaire le 7 janvier), l’aînée des trois enfants que la chanteuse partage avec son mari, le rappeur Jay-Z.
Son apparition au milieu des danseurs a immédiatement suscité les vivas de la foule. Un petit geste de la main pour les caméras, une chorégraphie parfaitement exécutée, et voici l’adolescente en bustier à strass blanc au moins aussi acclamée que sa mère. Rien à voir avec sa première montée sur scène, un peu plus d’un an et demi auparavant. En mai 2023, Blue Ivy rejoint Beyoncé pour sa tournée «Renaissance» pendant son show à Paris. Elle n’a alors que 11 ans et ses mouvements timides traduisent le manque d’expérience. Depuis, la jeune fille s’est perfectionnée, contribuant à bâtir solidement une image de marque très américaine: celle d’une travailleuse, avide de gloire et de reconnaissance mais consciente des sacrifices que cela demande. Quand bien même ce mythe du travail qui mène au sommet est quelque peu diminué par des privilèges engrangés dès le plus jeune âge.
Bébé le plus connu du monde
Car dans l’histoire de la fabrique des enfants stars, Blue Ivy part déjà avec une bonne longueur d’avance. Peu peuvent en effet se vanter, comme elle, de l’annonce de la grossesse de leur mère sur la scène des MTV Video Music Awards, en déboutonnant sa veste pailletée pour dévoiler son ventre rond. Deux jours après sa naissance, le magazine «Time» la désigne d’office «bébé le plus connu du monde». Il faut dire que ses parents pèsent plusieurs milliards (Jay-Z est d’ailleurs le premier rappeur devenu milliardaire) et leur popularité n’a pas de prix. Son père enregistre ses premiers gazouillis à la maternité et les utilise sur une chanson, «Glory», produite par Pharrell Williams. Résultat: le bébé entre directement au Guinness des Records comme étant la plus jeune artiste américaine classée dans les charts américains.
Enfant, Blue Ivy apparaît à plusieurs reprises dans les clips des chansons de «Queen B», à commencer par «Formation» et «Brown Skin Girl», pour lequel elle est même créditée. Le Grammy Award qui couronne la vidéo en 2021 lui revient donc également. À 9 ans, la fille de Beyoncé est la plus jeune personne de l’Histoire à repartir avec une telle récompense.
La précocité vient avec son revers de la médaille: depuis le plus jeune âge, Blue Ivy est aussi la cible de la critique la plus acerbe. Alors qu’elle n’a que 7 ans, une photo d’elle suscite une vive controverse, après des remarques dévalorisantes et racistes de la part de journalistes américains, qui trouvent qu’elle ressemble trop à son père et suggèrent qu’il lui faudra faire de la chirurgie esthétique. De même, ses pas de danse mal assurés sur la scène du concert parisien de Beyoncé n’ont échappé à personne et lui ont valu quelques railleries.
«Elle a pris cela très au sérieux et l’a mérité»
Pourtant, malgré cette pression publique permanente, Blue Ivy se fraie aisément un chemin dans le star system et le cœur des fans. C’est que l’enfant évite habilement deux écueils. D’abord, celui de la petite fille intégralement façonnée par ses parents, qui serait réduite à l’état de mini-Beyoncé et cornaquée pour devenir star elle aussi. «Blue est une artiste», affirmait cette année sa mère dans une rare interview au magazine «GQ». «Elle a de bons goûts en musique et en mode. C’est une peintre et une actrice fantastique. Elle invente des personnages depuis qu’elle a trois ans. C’est naturel pour elle, mais je ne voulais pas qu’elle monte sur scène [à Paris pour la tournée «Renaissance»]. C’est Blue qui l’a voulu. Elle a pris cela très au sérieux et elle l’a mérité. Et, plus important encore, elle a pris du plaisir.»
Dans le film «Renaissance» issu de la tournée, Beyoncé raconte d’ailleurs qu’elle ne «pensait pas qu’une scène de stade était un endroit approprié pour une fille de 11 ans». «Tout ce que j’ai dû traverser, les obstacles que j’ai dû surmonter, m’ont préparée à ça. [Blue Ivy] n’a pas connu [ces barrières]. Alors j’ai passé un accord avec elle et je lui ai dit: 'si tu t’entraines et que tu montres ton engagement, je te laisserai faire un show'.» Mettre l’accent sur le travail, la motivation et le mérite, voilà qui entre parfaitement dans l’idéal américain de la réussite. Le story-telling autour du travail méritocratique s’est d’ailleurs poursuivi avec le match de Noël de la NFL, pour lequel Blue Ivy aurait travaillé d’arrache-pied afin d’apparaître plus à l’aise que pendant la tournée.
Une nepo baby qui s’assume
Mais de l’autre côté, Blue Ivy ne met pas non plus sous le tapis le fait qu’elle est, comme bien d’autres dans l’industrie du divertissement aujourd’hui, une nepo baby, ou fille de. Le terme fait beaucoup débat, notamment depuis que Lily Rose-Depp, fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis, s’est offusquée de son emploi en 2022 dans un article de la version américaine du «Elle». «Je trouve cela étrange de réduire quelqu’un à l’idée qu’il n’est là uniquement grâce à la génération avant lui. Ça n’a aucun sens!», se plaignait l’actrice et mannequin. Cela avait fait bondir bon nombre de ses consoeurs, qui n’avaient pas manqué de faire remarquer que devenir égérie Chanel en faisant seulement 1,65m avait sans doute à voir avec son patronyme.
Blue Ivy, elle, ne cache justement pas la génération précédente. Au contraire, jusqu’ici, elle a accompagné sa mère partout. Cette transmission est calculée, elle est même politique: ce n’est pas un hasard si l’enfant est apparue dans le clip de «Formation», une chanson dans laquelle Beyoncé réaffirme ses origines afro-américaines et créoles, et inscrit son histoire personnelle dans le cadre, plus vaste, de la mémoire noire de l’esclavage. Blue Ivy est elle aussi le produit de cette histoire, la digne fille de sa mère, bref, une nepo baby désormais en âge d’assumer de l’être.
Lancée vers une carrière solo
Cela ne l’empêche pas de rêver d’une carrière individuelle. «Elle a chopé le virus de la performance», affirme ainsi une source au «DailyMail». «Elle adore la possibilité d’enregistrer plus de musique, avec et sans ses parents, et elle attend les prochaines années pour dévoiler l’artiste qu’elle veut être.» Les choses sérieuses ont d’ailleurs commencé avec son expérience dans le doublage pour le film «Mufasa», prequel du «Roi Lion» sorti en décembre, dans lequel elle prête sa voix à l’un des personnages secondaires. Là encore cependant, maman n’est jamais loin: Beyoncé avait aussi doublé une lionne dans le précédent volet…
Jay-Z et son épouse ne cachent d’ailleurs pas leur volonté de protéger au maximum leur progéniture. Cela passe par des encouragements constants, notamment sur Instagram, où Beyoncé, peu prolixe d’habitude, ne prend la peine d’écrire de vraies légendes quasiment que pour sa fille, dont elle se dit chaque jour plus fière que le précédent.
Mais cela se traduit également, Amérique oblige, par des actions légales diverses et variées. Notamment le dépôt de la marque Blue Ivy pour tout un tas de choses, des shampooings aux livres en passant par les jeux vidéo – l’objectif étant, expliquait Jay-Z à «Vanity Fair» en 2013, non pas de lancer des produits mais d’éviter que d’autres le fassent.
La future star qui cache les casseroles du père
Aujourd’hui, la popularité de l’adolescente est telle que c’est à se demander si les rapports de force ne sont pas inversés. Si, finalement, ce n’était pas Blue Ivy qui en faisait bénéficier son père. La question se pose avec d’autant plus d’acuité que Jay-Z est accusé de viol sur mineur dans une plainte déposée le 8 décembre dernier à New-York. En 2000, lors d’une soirée, il s’en serait pris à une adolescente de 13 ans avec P. Diddy, qui risque lui la prison à vie pour de multiples viols et du trafic sexuel, et se trouve actuellement en prison.
Dès lors, l’affichage de la famille Carter au grand complet lors de l’avant-première de «Mufasa» ressemble, pour certains, à une tentative de diversion. Et mettre en avant Blue Ivy, époustouflante dans une robe de princesse dorée, pourrait permettre à son père – qui nie les faits et dénonce une tentative d’extorsion – de se faire oublier.
Quoi qu’il ressorte de la plainte, la jeune fille a toutes les cartes en main pour prendre son envol et imposer sa propre marque dans l’industrie. Ce n’est pas choses facile et d’autres sont restés sur le carreau: les enfants de Will et Jada Pinkett Smith, par exemple, n’ont jamais vu leur carrière décoller réellement malgré les nombreux efforts de leur père. Mais Blue Ivy a déjà fait sienne les paroles de sa mère dans «Formation»: «J’en rêve, je travaille dur, je me tue à la tâche jusqu’à ce que j’y arrive [...] Je prends ce qui est à moi, je suis une star.»