Le basculement va donc avoir lieu. Forte de plus de 40% des suffrages, et d’un mode de scrutin qui donne un net avantage au parti victorieux, la coalition de droite emmenée par Giorgia Meloni, 45 ans, et son parti «Fratelli d’Italia» devrait bientôt se retrouver à la tête de l’Italie, troisième économie de l’Union européenne dont elle est un pays fondateur.
Le choc est garanti. Si elle devient la première femme à accéder au Palais Chigi, le siège de la présidence du conseil italienne, Giorgia Meloni sera le nouveau visage d’une péninsule qui a dit non. Non au consensus proeuropéen malgré la détérioration chronique des comptes publics italiens. Non à l’affaissement présumé des valeurs familiales et catholiques face aux bouleversements sociaux et culturels. Non à la soi-disant dissolution de la préférence et de l’identité nationales dans la souveraineté partagée entre 27 États membres au sein de l’UE. Non à l’acceptation des vagues d’immigration en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient.
Un mélange de colères, de nostalgie… et de mensonges
Ce non, alimenté par un mélange de colères, de nostalgie, de revendication identitaire catholique et aussi de mensonges éhontés, est un avertissement à prendre très au sérieux. «Les délires italiens» que nous avons raconté dans Blick, entre le souvenir de Mussolini et la dislocation morale des années Berlusconi, ont pris le pas sur le choix plus raisonnable d’un tiers d’électeurs italiens toujours favorables au parti démocrate (19% des voix) et aux formations proeuropéennes.
Marine Le Pen peut, en France, rêver d’un destin similaire. L’extrême droite suédoise, victorieuse ces derniers jours, n’était pas une anomalie. Penser en revanche que l’Italie d’aujourd’hui a fait disparaître dans les urnes celle d’hier serait une grave erreur.
Une marque ultra-conservatrice
Aussi résolue soit-elle à imprimer sa marque ultra-conservatrice sur le pays et à faire cesser la spirale de «déclassement national» ressentie par beaucoup de ses compatriotes, Giorgia Meloni n’aura pas les mains libres si elle accède à la présidence du conseil, à la tête d’un gouvernement de coalition au sein de laquelle la droite traditionnelle jouera un rôle pivot.
Son réalisme géopolitique qui l’a conduit durant la campagne à défendre le maintien de l’euro, à soutenir l’Ukraine et à promettre d’être une alliée solide des Etats-Unis a d’ailleurs déjà prouvé sa capacité à intégrer la raison d’État. Idem pour sa promesse d’aller vers un «présidentialisme à la française», sur laquelle elle a promis de consulter tous les partis.
Retrouvez Richard Werly dans «C ce soir» lundi 26 septembre
Ne surtout pas diaboliser l’Italie
Vu de Suisse où l’UDC, premier parti du pays, défend avec succès depuis trente ans des thèses très proches de celles prônées par «Fratelli d’Italia», l’arrivée programmée au pouvoir de Giorgia Meloni ne doit surtout pas déboucher sur une diabolisation du pays et des Italiens. Au contraire. C’est en mettant cartes sur table d’emblée, sur le plan budgétaire, économique, mais aussi sur les questions de l’immigration à régler au sein de l’espace Schengen (dont la Confédération est membre), que l’Union européenne doit affronter le nouveau gouvernement italien.
C’est en faisant confiance à la justice et à la société civile italienne, qui ne manqueront pas de relever la tête si leur indépendance et leurs libertés sont attaquées, que l’UE doit agir face aux éventuelles tentations autoritaires de «Fratelli d’Italia». C’est en jugeant Rome sur les actes que cette nouvelle page politique de l’Italie doit maintenant être évaluée.
Une Italie tenue à bout de bras
L’Italie, tenue à bout de bras par ses partenaires européens qui lui ont alloué près d’un tiers du plan de relance «Next Generation EU» de 750 milliards d’euros, a autant de devoirs que de droits. La défense du pouvoir d’achat des Italiens passe par la solidarité communautaire. Le rappeler est indispensable. Mais ranger d’emblée la péninsule dans le camp de la Hongrie, bastion de l’europhobie ambiante, est prématuré.
Dans l’opposition, Giorgia Meloni a soutenu dans le passé le premier ministre hongrois Viktor Orban. Si elle parvient au pouvoir dans les prochaines semaines, la nouvelle patronne de l’Italie n’aura aucun intérêt à mener une fronde et une opération forcenée de déstabilisation anti-UE contraire à l’héritage démocratique et européen de son grand pays.