Nombreuses sont les craintes sur la table. Giorgia Meloni, épouvantail de Bruxelles. L’Italie transformée en nouvelle Hongrie, vent debout contre l’Union européenne. Rome, transformée en capitale de l’europhobie et en tremplin pour tous ceux qui veulent détricoter l’Union européenne (UE), voire la démanteler. L’euro, assuré de plonger encore plus face au dollar si le bloc de droite l’emporte à l’issue des élections législatives italiennes de ce dimanche 25 septembre, et remet en cause le plan de réformes économique en cours dans la péninsule.
Ces peurs ont été brandies durant la campagne, logiquement, par le principal adversaire de Giorgia Meloni, l’ancien président du conseil Enrico Letta, héritier politique du président du conseil sortant Mario Draghi, l’ancien patron de la Banque centrale européenne. Qu’en est-il au juste? En vérité, le calme s’impose. Voici pourquoi.
Giorgia Meloni, une extrémiste condamnée au pragmatisme
La cheffe du parti d’extrême-droite «Fratelli d’Italia», favorite des sondages, puise ses racines dans l’héritage politique du fascisme Italien. C’est inquiétant. Et c’est même tragique, car Benito Mussolini, assassiné en 1945, fut un dictateur allié à Hitler et donc complice de la pire tragédie de notre histoire contemporaine: la folie impérialiste et exterminatrice des nazis.
Mais attention: à 45 ans, la candidate en lice pour prendre les rênes politiques du pays est d’abord une femme de sa génération. Outrancière en paroles, lorsqu’elle exprime les colères des Italiens face à l’immigration clandestine, ultra-conservatrice sur les valeurs familiales, Giorgia Meloni a aussi parfaitement compris que son extrémisme électoral est un obstacle à son éventuelle réussite gouvernementale.
En clair: Giorgia Meloni doit, si elle veut défendre avec succès son agenda face à ses partenaires européens, disposer d’un gouvernement stable au sein duquel les conservateurs de «Forza Italia», le parti de droite traditionnel de Silvio Berlusconi, plaideront pour le réalisme. Ella a déjà, durant la campagne, répété qu’elle ne remettra pas en cause le droit à l’avortement, même si elle encouragera les femmes à ne pas avorter. Elle plaide aussi pour un renforcement de la souveraineté nationale compatible avec le maintien de l’euro, défi de premier ordre pour un pays dont la dette publique atteint 150% du produit intérieur brut.
Oui, Giorgia Meloni est extrémiste. Oui, son allié de la «Lega» Matteo Salvini, qui exige de revenir au ministère de l’intérieur, veut en découdre avec Bruxelles. Mais de là à ouvrir tout de suite une crise majeure entre l’Italie et l’UE, il y a un précipice dans lequel la candidate prendra sûrement garde à ne pas tomber.
Giorgia Meloni n’est pas Viktor Orbán
La comparaison est logique. La cheffe du parti «Fratelli d’Italia» a plusieurs fois apporté son soutien au premier ministre hongrois devenu la «bête noire» de Bruxelles. Elle défend son agenda ultra-conservateur et nationaliste. Elle soutient Orban lorsqu’il affirme résister aux ingérences communautaires dans la politique nationale hongroise, en particulier sur les questions relatives à l’indépendance de la justice. Mais gare aux caricatures!
Même si Giorgia Meloni rêve peut-être de gouverner comme Viktor Orbán, elle ne le pourra pas. D’abord parce que, contrairement à ce dernier (qui a de nouveau remporté une majorité des deux tiers de députés aux législatives d’avril 2022), son parti devra obligatoirement constituer une coalition pour gouverner. Ensuite parce que les contrepoids, au sein de la société, de la justice, des médias et des milieux d’affaires italiens, sont heureusement bien plus importants et solides qu’en Hongrie, pays postcommuniste aux institutions démocratiques plus fragiles.
La comparaison, surtout, ne tient pas compte de la position géographique et stratégique de l’Italie. Viktor Orbán peut slalomer entre Bruxelles et Moscou car son pays, frontalier de l’Ukraine, entretient de longue date des liens avec la Russie, dont il dépend entièrement pour son approvisionnement énergétique.
La Hongrie, bien que membre de l’OTAN depuis 1999, a par ailleurs toujours historiquement recherché une forme de neutralité entre l’est et l’ouest. Rien de tel pour l’Italie, où les Etats-Unis et l’OTAN disposent de bases militaires importantes. Giorgia Meloni a d’ailleurs déjà fait sa révolution. Dans son autobiographie, elle louait le caractère de Vladimir Poutine. Elle se range désormais, sans nuances, du côté de l’occident et de l’Ukraine. Alors que son allié turbulent, Matteo Salvini, a un discours bien plus pro russe.
Peu de marge de manœuvre face à Bruxelles
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a fait une gaffe ces derniers jours, en affirmant que son institution dispose «d’outils» pour résister aux demandes italiennes, si Giorgia Meloni accède au pouvoir. La réalité est en effet beaucoup plus complexe. Oui, la Commission a des instruments budgétaires et juridiques pour défendre l’Etat de droit, comme elle le fait aujourd’hui face à la Hongrie de Viktor Orbán.
Mais l’Italie n’est pas la Hongrie! Elle est un pays fondateur de l’UE. Elle est la troisième économie de la zone euro. Elle est indispensable à la cohésion stratégique et géopolitique de l’Europe. Ces menaces d’Ursula von der Leyen ont au contraire attisé la colère des Italiens déçus de l’Union. Elles accréditent l’idée d’un pays soumis aux diktats de Bruxelles, ce qui enlève en plus des arguments positifs au chef de file du camp pro européen, le leader du parti démocrate Enrico Letta.
Restent les faits, les chiffres et l’opinion publique. L’Italie est surendettée, sous surveillance des marchés financiers, prêts à s’engouffrer dans la moindre faille entre Rome et Bruxelles pour spéculer sur la baisse, voire l’éclatement de l’euro. L’Italie est surveillée de près par les Etats-Unis, qui n’ont aucun intérêt à une Europe économiquement disloquée et en crise. L’Italie est engagée dans des réformes difficiles, qui conditionnent le déboursement par tranches des 190 milliards d’euros qui lui sont alloués dans le cadre du plan «Nextgeneration EU» de 750 milliards. Et son opinion publique, très frustrée de voir le pays abandonner par l’UE sur l’immigration, reste majoritairement pro européenne.
Giorgia Meloni devra patienter, mais…
Giorgia Meloni, si elle l’emporte, viendra sans doute avec des demandes fermes à la table des 27. Elle plaidera pour une UE davantage «à la carte». Problème: financièrement, son pays n’a guère les moyens de solliciter aujourd’hui autre chose qu’un «menu» au mieux aménagé.
La difficulté en revanche sera davantage à moyen terme, avec dans le collimateur les élections européennes de mai 2024 et la perspective de voir la droite traditionnelle éclater pour s’allier, partout en Europe (comme en Suède ou en Italie), avec l’extrême-droite europhobe. C’est à ce moment que Giorgia Meloni et les siens, s’ils l’emportent ce dimanche dans les urnes en Italie, pèseront lourd dans la balance.