Ils redoutaient le pire. Et le pire est arrivé sous la forme des frappes aériennes israéliennes dans le quartier de Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth. Ce vendredi 27 septembre 2024, les bombes israéliennes ont dévasté six bâtiments, supposés abriter l’un des QG du Hezbollah, le mouvement chiite libanais dont la branche militaire est considérée comme terroriste par les États-Unis et l’Union européenne.
L’objectif qu'Israël affirme avoir atteint: l'élimination de Hassan Nasrallah, 64 ans, chef spirituel et politique du Hezbollah. Un homme devenu, ces derniers jours, l’ennemi numéro un du premier ministre Benjamin Netanyahu. Un homme qui divise - son mouvement continue d'affirmer qu'il est en vie - la population libanaise, déchirée entre la dénonciation du Hezbollah chiite qui prend le pays en otage, et la détestation de l’État hébreu toujours prêt à détruire le Liban et sa capitale pour assurer sa sécurité.
Rien ne peut arrêter Israël
Ils savent que rien ne peut, aujourd’hui, arrêter Israël et son chef du gouvernement, rentré en urgence de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, où il a qualifié l’ONU de «farce méprisante», façade diplomatique d’un «marécage antisémite». Ces Libanais, rencontrés en France ou contactés par téléphone dans leur pays, sont tous unanimes. C’est un duel à mort qui est aujourd’hui engagé entre le Cheikh Hassan Nasrallah et «Bibi», ce premier ministre allié à l’extrême-droite qui veut à tout prix apparaître en vainqueur pour l’anniversaire de la tragédie du 7 octobre 2023.
Assaad Shaftari est sexagénaire. Il a tué, jadis, pour les forces chrétiennes libanaises lors de la guerre civile. Il se bat aujourd’hui contre la guerre. Il était ce vendredi à Caen, invité du forum Normandie pour la Paix et de l’association suisse Initiatives et changements. L’escalade actuelle ne l’étonne pas. «Israël n’arrêtera pas. Leur logique est celle de la traque impitoyable. Pour parvenir à tuer Nasrallah, ils sont prêts tout.»
Un bilan bien plus lourd
A Beyrouth, un enseignant libanais qui tient à rester anonyme confirme. Il ne croit pas au bilan annoncé de deux morts, après la frappe israélienne de ce vendredi. Il affirme que le bilan sera beaucoup plus lourd. Il sait que, dans les hôpitaux de Beyrouth, des dizaines de cadres du Hezbollah se terrent, rendus aveugles ou mutilés par les explosions de leurs bipeurs et talkies-walkies, les 16 et 17 septembre.
Israël a, ce jour-là, réalisé un exploit en matière d’infiltration et de renseignement contre la milice chiite libanaise qui, depuis un an, pilonne le nord de l’État hébreu en riposte à la guerre à Gaza qui a fait plus de 40'000 morts. Mais le prix de cet exploit sera terrible. «Combien de commandants du Hezbollah, combien d’enfants de ces commandants ne pensent aujourd’hui qu’à se venger? interroge l’ancien officier français Guillaume Ancel, analyste militaire. Un militaire tue, mais ne mutile pas. Mutiler, c’est alimenter un processus de terreur qui ne finira jamais. Or on en est là.»
Les images des immeubles aplatis de Beyrouth, celles des sauveteurs en train de se frayer un chemin dans les ruines succèdent, sur les téléphones portables, à celles montrant les communiqués contradictoires du Hezbollah selon lequel leur chef est toujours en vie, et ceux de l'armée israélienne qui le disent mort. Dans tous les cas, Israël aura donc conféré à Hassan Nasrallah un statut de martyr.
Depuis 1991, ce religieux né dans l’est de Beyrouth tient tête à Israël, à la tête d’un mouvement rompu aux actions terroristes, qui compterait au moins 50'000 combattants aguerris, alors que lui affirme disposer de plus de 100'000 soldats. En 2006, le Hezbollah a tenu bon face à l’armée israélienne lors de la précédente offensive terrestre de celle-ci, qui dura 33 jours et s’acheva par un statu-quo. Nasrallah, selon la plupart des experts, se sait en position d’infériorité. Il ne veut pas de la guerre totale. Il sait que son parrain politique et militaire, l’Iran, est affaibli. Mais il ne croit qu’à un seul rempart: celui des armes et de la violence.
Tous otages
«Ils veulent tous nous tuer. Et ils en sont capables.» Cette femme médecin déteste le Hezbollah, et reconnaît qu’elle ne peut pas le dire, car la milice chiite fait régner la peur. Mais elle ne croit à aucune promesse d’Israël, ce pays prêt à broyer le Liban. «A quoi servent vos commentaires sur la guerre totale ou pas? Quand vous êtes sous les bombes soi disant ciblées, vous êtes déchiquetés. Je vois chaque jour des enfants que l’on doit amputer. C’est ça, la traque de Nasrallah: une chasse à l’homme dont nous sommes tous otages.»
Le chef du mouvement chiite n’avait jamais été directement visé par Israël. Deux de ses plus proches commandants militaires ont été tués lors de frappes ces dernières semaines. «Le fait de le cibler montre que les lignes rouges israéliennes n’existent plus», juge un bon connaisseur du conflit. Assaad Shaftari va plus loin. Il pense que le pilonnage va se poursuivre encore plus sur tous les bastions chiites.
Duel impitoyable
Il ne croit pas en revanche à une attaque au sol, car elle mettrait face à face les deux armées, avec un risque d’échec et de lourdes pertes pour Tsahal. C’est donc du ciel que la mort va continuer de venir. Drones. Avions. Missiles. Tandis que de l’autre côté, le Hezbollah va sans doute poursuivre ses tirs de roquettes et de missiles sur Israël. «On est des cibles. Dans de nombreux villages chrétiens, les chiites ont trouvé refuge. A tout moment, la mort peut tomber du ciel.»
L’armée israélienne répond en énumérant le pedigree terrible des chefs tués du Hezbollah. Des maîtres en terrorisme, responsables de centaines de morts. Des ennemis jurés de l’État hébreu. Des fanatiques à la solde de l’Iran. Si le mouvement chiite dit vrai, Hassan Nasrallah devrait réapparaître sous peu pour le prouver. Le contraire démontrerait que Benyamin Netanyahu a remporté son duel. Le Liban, en revanche, ne sait pas comment il va survivre à ce face-à-face impitoyable.
L’autre, ce danger
«L’autre redevient le danger, l’ennemi. On le soupçonne alors que la condition de la paix est de le connaître est de le comprendre. Dans cet effroyable tunnel de frappes et de ripostes, c’est l’espoir qui est réduit en cendres» conclut Assad Shaftari, toujours engagé, au sein de son organisation «Combattants pour la paix», pour un Liban capable de surmonter ses peurs et ses traumatismes.