Là où vit Tom Davis, l’un des républicains les plus influents du Congrès jusqu’en 2008, c’est en réalité toute la politique américaine qui se décide. Il s’agit de ces fameuses «banlieues»: des propriétés tentaculaires, des maisons gigantesques, des SUV. Mais surtout des électeurs que les démocrates et les républicains s’arrachent.
En ce moment, dans l’État américain de Virginie – d’où j’écris – les Républicains ont manifestement le dessus. Mardi, leur candidat Glenn Youngkin a remporté l’élection de gouverneur. Cela un an avant les élections de mi-mandat (midterms), au cours desquelles tous les représentants et une partie des sénateurs sont nouvellement élus. Cette tendance droitiste, qui n’est pas un cas isolé, est un signal dévastateur pour le président américain Joe Biden et son parti.
Peu avant cette défaite supposée des démocrates à la Chambre des représentants et au Sénat, Tom Davis, stratège électoral chevronné, a accordé une interview à Blick sur sa terrasse.
Si vous deviez parier sur l’issue des élections mi-mandat de 2022…?
Tom Davis:… je parierais 1000 dollars que les républicains remporteront la majorité à la Chambre des représentants.
Et au Sénat?
Les sénateurs sont élus pour un mandat de six ans, donc pour la dernière fois en 2016. Il sera, contrairement à la Chambre, assez difficile de conserver tous les sièges en Pennsylvanie et au Wisconsin, par exemple, sans une vague républicaine vraiment forte.
Pourquoi êtes-vous si sûr de la victoire républicaine côté Chambre des représentants?
Sur les 39 dernières élections de mi-mandat, le parti du président a perdu 36 fois des sièges à la Chambre des représentants. Les quatre dernières fois qu’un parti a contrôlé la Maison Blanche, la Chambre des représentants et le Sénat au début d’un mandat, il a perdu la Chambre de façon plus retentissante que prévu à chaque fois. La même dynamique risque de se reproduire.
Ces faits historiques sont-ils la seule raison de votre optimisme?
Non. Depuis que Trump est parti, les démocrates ont perdu leur rôle de force d’opposition. Or beaucoup d’électeurs indépendants plus conservateurs que le parti au pouvoir, par exemple, n’aiment pas particulièrement ce qu’il se passe à la maison blanche en ce moment: tous ces trucs woke, les positions économiques… Cette frange électorale, entre autres, voulait se débarrasser de Trump, mais n’était pas non plus prête à donner un chèque en blanc à Biden. Cela se verra dans les urnes, comme cela a été le cas au cours des 150 dernières années.
L’année 2002 fait exception à cette règle. Lors des premières élections de mi-mandat sous George W. Bush, vous avez dirigé le comité de campagne républicain NRCC (National Republican Congressional Committee, ndlr) et avez réussi à conserver la Chambre des représentants de votre côté pour la deuxième fois consécutive. Comment avez-vous accompli cet exploit?
Deux choses nous ont aidés. Au début du mandat Bush, nous n’avions qu’une faible majorité au Sénat. Au bout de huit mois, Jim Jeffords, sénateur républicain du Vermont, s’est déclaré indépendant, ce qui portait le nombre de sénateurs à 50 démocrates, 49 républicains et un indépendant. Cela a réduit les attentes de notre base. Puis le 11 septembre est arrivé. Cela a rapproché un peu plus le pays pendant un certain temps et a renforcé la position de Bush, alors même que sa cote de popularité était en chute libre juste avant cela.
La magie des crises! Les chefs d’État gagnent souvent en popularité durant ces périodes, car les gens aspirent davantage à la sécurité.
Exactement. Sauf que cela n’a pas beaucoup servi à Trump dans le cas du Covid, qu’il a mal géré. Dans le discours, il était tel un missile non guidé en chute libre. Selon moi, c’est ce qui l’a achevé. Il a ainsi gâché une réelle opportunité de se maintenir.
Vous avez aussi présidé le NRCC en 2000. À Washington, ils pensaient que vous alliez perdre les élections. Cela n’a pas été le cas. Quelle a été votre stratégie gagnante?
Nous avions mieux compris l’évolution du paysage politique américain. Nous avions compris que les zones rurales se rebellaient contre le parti démocrate car celui-ci s’exprimait davantage sur des questions sociales sensibles: l’avortement, le mariage homosexuel… Dans ces régions, nous avons donc placé des candidats avec précision, ce qui nous a valu de réussir à prendre des sièges aux démocrates.
Dans le cas du président lui-même, cela n’a fonctionné que dans une certaine mesure: Bush n’a pas obtenu la majorité des voix à l’époque et n’a gagné que grâce aux tribunaux.
On dit toujours que les Républicains n’obtiennent pas les votes des noirs. Nous avons obtenu le vote décisif: celui du juge Clarence Thomas. Il était le cinquième des neuf membres de la Cour suprême des États-Unis. Puis Al Gore l’a accepté comme un homme d’État – contrairement à Trump, c’est tellement embarrassant.
Ce n’est pas seulement Trump. De plus en plus de républicains de premier plan soutiennent le mensonge de la fraude électorale.
C’est aussi compréhensible! Trump a regagné les zones rurales pour les républicains. Il fait de la téléréalité depuis des décennies. Il comprenait vraiment les gens, s’adressait directement à eux. Son vocabulaire de 500 mots suffisait pour cela, alors qu’Hillary les a qualifiés de «pitoyables» (Clinton a qualifié une partie des supporters de Trump de «panier de déplorables» pendant la campagne électorale de 2016, ndlr). Ces électeurs sont toujours là et se sentent liés à Trump. C’est comme une danse. Je parlais à un membre du Congrès avant le 6 janvier et je lui ai dit: «Écoutez, si vous votez contre la certification de l’élection, vous aurez une très mauvaise image dans l’histoire.» Il a répondu: «Oui, mais si je vote pour, je serai contesté dans mon district.»
Pensez-vous que c’est une raison suffisante pour troquer les valeurs démocratiques?
C’est définitivement dangereux. Mais je pense que le mensonge de la fraude électorale perd du terrain de toute façon. Il y a très peu de gens qui y croient vraiment.
Trump appelle déjà sa base à ne pas voter l’année prochaine si les Républicains ne font pas de la fraude électorale présumée leur priorité numéro un. C’est ainsi que deux élections en Géorgie ont été perdues de manière inattendue pour les Républicains, ce qui a assuré aux Démocrates une majorité au Congrès en premier lieu.
Trump est un joker. Il est une boule de démolition en termes de ce qu’il fait pour le parti, parce que tout tourne autour de lui. Mais, qu’il finisse par nous faire plus de bien ou plus de mal, ça nous le verrons l’année prochaine. Il est notre plus grande force, mais aussi notre plus grand fardeau…
Avez-vous voté pour Trump l’année dernière?
Je n’étais pour personne. Mais j’ai voté contre Biden parce que je suis contre la direction qu’il veut faire prendre à ce pays.
Vous avez donc voté pour Trump?
Oui. Mais il n’est pas «mon» candidat républicain à la présidence. En fin de compte, je m’occupe de la nomination des juges, des autres fonctionnaires et des agences. Si Trump veut se représenter, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il ne soit pas à nouveau nommé.
Et s’il est nommé, voterez-vous à nouveau pour lui en 2024?
Avant de voter à nouveau pour lui, je verrais si les démocrates offrent une alternative raisonnable. Mais je crains qu’ils ne deviennent de plus en plus extrêmes – tout comme mon parti. Ce sont des temps difficiles pour les modérés comme moi.
Quelle est votre conviction la plus libérale et quelle est votre conviction la plus conservatrice?
En matière d’économie, je suis très conservateur. Je pense qu’un système qui récompense le succès, par opposition à un système qui récompense l’échec, est un bon système car il motive les gens à réaliser davantage qu’un système qui punit le succès et récompense l’échec. Sinon, le gâteau se rétrécit pour tout le monde. Et ça ne veut pas dire affamer les gens dans les rues. J’ai également beaucoup milité en faveur d’un accès à l’université qui soit moins dépendant du portefeuille des parents. Et j’ai annulé la décision de mes collègues républicains d’interdire les magazines gays dans les bibliothèques. J’ai également soutenu les réglementations sur les armes à feu qui me semblaient sensées. Mes opinions n’étaient pas toujours en accord avec le parti de l’époque. Mais je n’appelle pas ça libéral, plutôt pratique.
Quelle stratégie recommandez-vous aux démocrates pour ces élections de mi-mandat?
Ils doivent défendre leurs sièges. Et ils le font en examinant de près certains districts et leurs besoins. J’ai gagné ma première élection à 29 ans avec 63%. Personne ne m’a cru car la circonscription était en fait profondément démocratique. Après avoir frappé à quelques portes, j’ai vite compris que je devais parler de ce qui intéresse les gens, et non pas de ce qui m’intéresse moi. J’ai ainsi adapté 25 mini-campagnes à chaque quartier. Les démocrates ont créé leur propre dilemme. Le parti est divisé en deux: les gauchistes et les groupes ethniques. C’est de la politique d’identité. Pendant ce temps, nous, les Républicains, devenons aussi plus diversifiés. Si les électeurs veulent une femme, par exemple, nous en mettrons une. Ce n’est plus une prérogative des démocrates.
Sur quel sujet les démocrates pourraient-ils particulièrement marquer des points l’année prochaine?
C’est encore une question ouverte. Ils devront attendre et voir ce qui motive le plus leur base électorale. Un sondage Gallup d’il y a deux ans a montré que les gens veulent plus d’intervention gouvernementale. Actuellement, ils en veulent moins.
(Adaptation par Daniella Gorbunova)