Ses boucles brunes, d’une perfection que seul le maniement expert d’un fer à friser peut atteindre, tombent joliment sur sa robe blanche. Nous sommes le 17 juillet 2024, au troisième jour de la Convention nationale des Républicains, le grand raout des électeurs conservateurs américains, lorsque Kai Trump monte sur la scène. La fille de Donald Trump Jr, petite-fille de Donald Trump tout court, est appelée par son père pour venir défendre la candidature de son grand-père.
«Je suis ici pour parler des côtés de mon papy que les gens ne voient pas souvent», déclare-t-elle. «Pour moi, c'est simplement un papy normal. Il nous donne des bonbons et des sodas quand mes parents ont le dos tourné, il veut toujours savoir comment ça se passe à l’école. Quand j’ai fait partie du tableau d’honneur, il l’a imprimé pour montrer à tous ses amis à quel point il était fier de moi.»
Tonnerre d’applaudissements. Bien sûr, le public est acquis à la cause et il lui en faut peu pour s’esbaudir. Mais Kai Trump propose aussi quelque chose de différent. D’abord, c’est une femme et elle est jeune, ce qui tranche avec tous les autres orateurs de la convention. Ensuite, elle tient un discours qui se distingue. «Contrairement à tous ceux qui ont dépeint Donald Trump comme un combattant, un héros de la cause conservatrice, Kai l’a décrit en grand-père mignon et soutenant», analyse le reporter Simon J. Levine dans le «New York Times».
En restant sur le registre de l’intime et de la coulisse, en incarnant à la fois parfaitement les valeurs conservatrices mais avec une touche de modernité et de jeunesse, la petite-fille du président réélu pour la seconde fois il y a quelques semaines est devenue une véritable marque pour l’Amérique «MAGA» («Make America Great Again»), populiste et déterminée à rendre au pays sa grandeur.
Une jeune femme pas particulièrement politisée
La première des dix petits-enfants de Donald Trump s’était pourtant jusqu’ici tenue assez loin de la scène politique. Très près, en revanche, des terrains de golf. Son compte Instagram aligne des dizaines de vidéos d’elle en train de parfaire son swing depuis le plus jeune âge, une passion qu’elle partage d’ailleurs avec son aïeul. Entre les parcours et la plongée, on la retrouve avec sa mère, sa fratrie ou ses deux chiens et, de façon très occasionnelle jusqu’à la campagne de 2024, son grand-père. Même là, Kai Trump se gardait de tout commentaire et la politique n’apparaissait guère que sur la casquette MAGA fièrement arborée par le président sur les photos.
C’est d’ailleurs précisément ce qui fait la force d’une prise de parole de Kai Trump aujourd’hui: la jeune femme n’est pas considérée comme quelqu’un de particulièrement politisée. Trop jeune pour pouvoir prétendre à un poste – quoique les Américains nous ont habitués à tout – et plus focalisée sur ses futures études à l’université de Miami et ses prochains tournois de golf que sur la Maison-Blanche, son soutien à son grand-père est d’abord mû par une affection sincère, ce qui plaît à une frange d’électeurs attachés aux valeurs familiales.
Sur une ligne de crête entre traditionalisme et modernité
D’ailleurs, Kai Trump n’est pas uniquement la «petite-fille de». Avant même son discours de juillet, elle était suivie par des dizaines de milliers de personnes sur Instagram et avait réussi à se construire une image. «C’est une personne jeune, jolie, talentueuse, qui a bâti sa communauté parce que c’est une bonne golfeuse et qu’elle a une super présence sur les réseaux sociaux», résume auprès du «Telegraph» Ryan Davis, cofondateur de People First, une entreprise spécialisée dans l’utilisation des micro-influenceurs pour les campagnes électorales. Elle a aussi, et c’est un pré-requis indispensable pour une influenceuse, des conditions de vie idylliques, entre villas luxueuses, jets privés et parcours de golf.
Son profil est très intéressant pour l’image de Donald Trump car il marche sur une ligne de crête entre le traditionalisme et la fraîcheur. Il suffit pour s’en convaincre de l’observer sur son estrade le 17 juillet. Juchée sur des talons hauts, la jeune fille arbore une robe à la fois sobre (blanche, sans décolleté) et juste ce qu’il faut de sexy (une ouverture dans le dos, une longueur au-dessus des genoux). Très apprêtée, Kai Trump arbore aussi une énorme croix catholique en pendentif, absolument inratable pour une Amérique pétrie de christianisme.
Et le fait d’être une femme est évidemment un atout pour un président misogyne (même si sa victoire montre que les multiples accusations de violences sexuelles à son encontre n’ont pas freiné les électeurs) et sous la première présidence duquel la Cour suprême américaine est largement revenue sur le droit à l’avortement. En 2016, le Républicain avait à ses côtés Melania, sa femme, et Ivanka, sa fille aînée, pour apporter une touche féminine à sa campagne et convaincre les électrices. Huit ans plus tard, toutes les deux ont décidé de rester en retrait. Comme le pointe Krysten Stein, professeur en communication à l’Université de Cincinnati, au «Telegraph», dans ce contexte, «Kai offre une introduction plus douce vers l’univers MAGA. Elle pourrait représenter une facette plus jeune et ‘authentique’ de cette marque».
Une authenticité bien réglée
Les guillemets sont importants. Car si les réseaux sociaux de Kai Trump donnent une impression bluffante de spontanéité, tout est en réalité très bien rôdé. Les chaînes TikTok et YouTube de l’étudiante ont été lancées fort à propos après son discours à la Convention nationale des Républicains. Elles conservent la même ligne éditoriale que son compte Instagram: toujours beaucoup de golf et quelques apparitions avec son grand-père. C’est véritablement après la nuit de l’élection, le 5 novembre dernier, que les vidéos plus politiques s’enchaînent. Kai Trump se filme d’abord seule en train de le féliciter. Elle n’est pas particulièrement apprêtée, utilise la fonction «selfie» de son téléphone… tout porte à croire qu’il s’agit d’une initiative personnelle.
Mais ensuite, l’étudiante sort un long «vlog» de plus de dix minutes sur les coulisses de la nuit électorale. On la voit se faire coiffer, maquiller, et choisir soigneusement sa robe de soirée avant de se rendre à Mar-a-Lago, la villa de son grand-père, pour une fête. Tout est tourné comme un film de famille mais il ne faut pas s’y tromper, avertit Krysten Stein: «On atteint un niveau de contrôle qui va bien au-delà de la création de contenu classique.» Aujourd’hui, la vidéo a enregistré plus de quatre millions de vues.
Une future figure des Républicains?
Et Kai Trump ne s’arrête pas là. Depuis l’élection, elle s’est fait remarquer notamment en montrant les coulisses d’une visite de Donald Trump au Texas, lors du lancement de la fusée Starship de SpaceX, la société aérospatiale d’Elon Musk. Avec une amie dans un jet privé, là voilà qui imite les petits pas de danse de son grand-père pendant la campagne. Sur le tarmac du lancement, toutes les deux jouent les groupies devant l’entrepreneur, soutien clef du Républicain pendant la campagne, que la jeune femme appelle d’ailleurs son «oncle» sur les réseaux sociaux.
Comme toujours, la vidéo mêle les codes d’un enregistrement amateur, avec une caméra qui bouge trop, des angles bizarres et un son perturbé par le vent qui souffle fort, et une maîtrise du narratif. Même si Donald Trump paraît peu causant face à Elon Musk, et pas forcément à l’aise lorsque celui-ci explique l’échec du lancement de la fusée, l’objectif est atteint: humaniser le président. Pour la reporter du «Daily Beast» Eboni Boykin-Patterson, il y a là un «adoucissement délibéré [de la personnalité] de son grand-père et président-élu, qui omet complètement ses penchants pour les insultes et les remarques graveleuses».
La ficelle est aussi vieille que la politique, et on se souvient de Chelsea, la fille d’Hillary et Bill Clinton, venue soutenir sa mère en 2016 et égrenant tout au long de la campagne d’anciennes photos de famille. Ou de la communication bien rodée de la famille Obama, avec des clichés du président, sa femme et ses deux filles, dans une ambiance très «Petite maison dans la prairie». Avec Kai Trump toutefois, une nouvelle étape semble franchie: c’est elle-même qui communique, qui plus est sur les réseaux sociaux.
«Si la famille Trump a bien un talent, c’est celui de construire une marque sur son nom», note Ryan Davis. «Elle avait le bon âge au bon moment et elle est une messagère bien plus séduisante que Donald Trump Jr. En utilisant des plateformes comme Instagram et TikTok, elle peut éveiller l’intérêt des internautes, et potentiellement se positionner comme une figure importante pour la suite du mouvement MAGA.» D’ailleurs, sur Internet comme dans la foule de la Convention nationale des Républicains, un mot d’ordre commence à se répandre en prévision d’une future élection présidentielle: «Kai 2040».