Ils n’ont pas le moral. Ils sont gouvernés par une coalition empêtrée dans ses divergences. Ils regrettent «Mutti» Merkel, l’ex-Chancelière difficilement remplacée par son successeur social-démocrate Olaf Scholz. Et surtout, ils se demandent à quoi va ressembler 2024, après une quasi annus horribilis en 2023. Les 83 millions d’Allemands constituent le cœur battant du continent européen. Ils en sont le poumon économique. Mais rien ne va plus dans ce pays empêtré dans ces contradictions. D’autant que les conflits en Ukraine et à Gaza ravivent des plaies douloureuses au sein de la société et de l’élite politique.
«Les Allemands sont les grands perdants de 2023.» Ce n’est pas un expert en géopolitique qui le dit. C’est le quotidien économique Français Les Échos. D’ordinaire, ce journal multiplie les articles envieux sur les succès industriels outre-Rhin. Pendant longtemps, la frontière franco-allemande a constitué, pour ce journal, la ligne de démarcation entre un pays en crise chronique (la France) et un autre qui donnait l’impression de savoir mieux que tous ses voisins conjuguer la prospérité au présent: l’Allemagne. Or les choses ont changé ces douze derniers mois. L’influent hebdomadaire Der Spiegel l’a confirmé en une, en titrant: «La France, c’est l’Allemagne en mieux!». Audacieux? Non, réaliste. Du moins si l’on s’en tient à cinq indicateurs.
Indicateur N° 1: La croissance
Et oui, les chiffres Français sont meilleurs que les chiffres allemands. Sur la période 2018-2023, la croissance française a atteint 5,5% quand celle de l’Allemagne a plafonné à 2,5%, selon la Banque mondiale. Une preuve, selon les observateurs des deux pays, que la politique d’attractivité d’Emmanuel Macron fonctionne, pour attirer dans l’hexagone les investisseurs étrangers. Une preuve aussi de l’impact, sur l’économie allemande, de la guerre en Ukraine et du changement imposé de modèle énergétique: fini, le gaz à bon marché en provenance de Russie qui a tant alimenté le «miracle allemand».
Indicateur N° 2: L’industrie
Vous n’y croyez pas? Et bien le «Made in France» a eu tendance, en 2023, à mieux se porter que le «Made in Germany». Logique. Les chiffres industriels nationaux englobent le secteur de la défense qui est une force tricolore. Et ce, malgré l’annonce du plan de 100 milliards d’euros d’investissement par Berlin dans le réarmement de la Bundeswehr. Les exportations d’armements françaises ont atteint un record de 27 milliards d’euros en 2022. Et cela continue d’augmenter. De son côté, l’industrie automobile allemande broie du noir. La suppression des bonus gouvernementaux pour les voitures électriques risque d’empêcher le pays d’atteindre son objectif de 15 millions de véhicules de ce type d'ici à 2030.
Indicateur N° 3: L’image
La France est en colère permanente. Mais ça, le monde entier le sait. Cela n’empêche pas le pays de continuer de caracoler en tête des destinations touristiques mondiale, avec 80 millions de visiteurs étrangers (un chiffre que l’Espagne dépasse toutefois). La coupe du monde de rugby est passée par là à l’automne. Et les Jeux Olympiques de 2024 arrivent. Côté recettes, la cash machine touristique fonctionne: entre 64 et 67 milliards d’euros de recettes prévus pour 2023, contre 58 milliards en 2022. L’Allemagne? C'est environ 15 millions de touristes annuels
Indicateur N° 4: La déprime
«L’Allemagne est le pays le plus populaire au monde.» C’est la BBC qui le dit. Pardon, qui le disait… Car ce titre remonte à 2013. Il y a dix ans, la République fédérale sortait grande gagnante de la crise financière 2008-2012. L’Allemagne avait sauvé l’euro et l’Europe. Tous les jeunes se ruaient sur ses villes pour y trouver un emploi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. 25% des Allemands adultes s’avouent aujourd’hui déprimés. Plus préoccupant pour l’économie, 53% des expatriés qui travaillent en Allemagne, selon «l’Expat City Ranking 2023», sont parmi les moins heureux et les plus «seuls» au monde. Pas simple dans ces conditions de continuer à attirer les meilleurs talents.
Indicateur N° 5: Les fractures
La France est fracturée, divisée, écartelée, tout le monde le sait. Le sociologue vedette Jérôme Fourquet parle même «d’archipel français». Sauf que l’Allemagne aussi se divise. A l’est, l’extrême-droite semble impossible à arrêter. La communauté turque (1,3 millions) est tourmentée par la guerre à Gaza. L’alignement sans faille du pays aux côtés d’Israël, depuis l’assaut du 7 octobre, relance les divisions. «La guerre entre le Hamas et Israël renvoie l’Allemagne à sa propre responsabilité historique», note avec justesse le correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder. Mais qui dit responsabilité dit aussi retour du passé. Avec tous ses fantômes.