Ce qui est perçu comme un immense drame inattendu et incompréhensible en Europe est toujours qualifié d'«opération militaire spéciale», ou encore de «dénazification de l’Ukraine», côté russe. Nous connaissons tous, désormais, le sort réservé aux médias et aux particuliers qui osent contredire la version officielle. Des milliers de manifestants pour la paix ont déjà été arrêtés à travers toute la Russie.
Dimanche, pour la première fois, trois soldats russes – ou miliciens de la Fédération de Russie, comme ils se qualifient eux-mêmes – capturés s’expriment devant les caméras des médias ukrainiens, dont l’agence de presse Unian. L’intégralité de la vidéo est disponible sur YouTube.
Cette conférence de presse pourrait avoir été créée de toute pièce. Il est probable qu'elle soit problématique au regard du Droit international relatif aux droits de l’homme (Convention de Genève). Voici néanmoins des extraits de la «confession» de Dimitri M., choisis et traduits du russe par Blick. Il est pour l'heure impossible de vérifier l'authenticité des propos tenus et l'identité des personnes s'exprimant de manière indépendante.
Dmitri M.: «J’aimerais tout d’abord bien préciser une chose. Ces quelques feuilles de papier devant moi, ce sont des notes de ce que nous aimerions porter à votre connaissance aujourd’hui. Ce ne sont pas des notes que l’on nous a mises dans les mains pour que nous les lisions bêtement… Si quelqu’un se pose des questions là-dessus.
Nous sommes des miliciens, des policiers. Techniquement, nous ne sommes pas censés pratiquer au-delà de nos frontières. Lorsque l’on nous en a donné l’ordre (ndlr: directement en provenance de Vladimir Vladimirovitch Poutine), on avait de la peine à croire que nous allions vraiment passer la frontière ukrainienne à un moment donné. De base, l’on nous avait juste dit que nous allions suivre une formation collective en Biélorussie.
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Lorsque l’on nous a mis dans des camions direction l'Ukraine, nous n’avons même pas eu le temps de cligner des yeux, alors réfléchir… Pour les détails, ils disaient qu’ils nous les donneraient en chemin.»
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Journaliste: «D’autres captifs russes nous ont dit qu’on leur assénait qu’il fallait libérer l’Ukraine de quelque chose. Que les gens allaient les accueillir avec joie, ici. Vous a-t-on vraiment dit cela?»
Dmitri M.: «Oui, on nous a dit cela. Mais les médias de masse russes martelaient, bien avait la guerre déjà, qu’un régime fasciste régnait sur le peuple ukrainien. Les nazis et les nationalistes y auraient pris le pouvoir, et le peuple aurait besoin d’aide pour s’en débarrasser. Ceci était notre but.
Bien sûr, ce sont des ’informations’ unilatérales. Nous avions internet, nous voyions donc aussi passer des nouvelles d’autres sources. Nous aurions pu mieux analyser. Bien sûr, nous avions des doutes. Personne n’a jamais compris la situation jusqu’au bout.
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En venant ici, je me suis très vite rendu compte qu’en réalité, les gens prenaient les armes… Contre nous. Personne ne nous attendait. Personne n’avait besoin de nous. J’ai véritablement honte de notre venue ici. Nous ne savions pas assez. Nous n’avons pas assez fait usage de notre propre sens critique, en fin de compte. Nous avons apporté le malheur sur cette terre. Je ne sais même pas si, après cela, une rédemption est possible… Nous ferons notre temps de prison. Nous sommes prêts à tout accepter. Mais cela suffira-t-il à nous racheter?
J’ai de la peine pour les gens restés en Russie. En principe, ils ne sont coupables de rien. Sinon du fait que les informations ne leur parviennent jamais dans leur entièreté et leur véracité. Certains n’ont même pas de connexion internet. […] On leur lave le cerveau via la télévision: l’Ukraine serait peuplée de fascistes, etc.
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Si quelqu’un avait envahi ainsi ma patrie, j’aurais agi exactement comme l’on a agi face à moi. Et j’aurais eu raison. Aujourd’hui, ils (ndlr: les Ukrainiens) ont raison et je suis ici en train de me justifier. Et je ne comprends même pas de quoi exactement… J’ai vraiment honte de cela.
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Si les forces armées russes m’écoutent; camarades, rassemblez votre bravoure. […] Il vous est certainement difficile d’aller contre la volonté de votre commandant, etc. Mais ce qu’il se passe ici, c’est un génocide. On extermine tout simplement les gens. Quoi qu'il se passe, la Russie ne vaincra pas ici.
Même si nous conquérons le territoire, nous ne conquerrons pas le peuple. Nous nous retrouverons seuls, isolés, sur une île déserte. Et ce ne sera que justice. Les Russes auront honte de dire qu’ils sont Russes. À cause de ce que nous venons de faire.
Je vous en supplie, arrêtez cela avant qu’il ne soit trop tard. Donnez-nous une chance de rentrer à la maison, et donnez-vous une chance de rentrer à la maison. Car à la maison (ndlr: en Russie), les gens sortent déjà dans la rue. Ils commencent à ouvrir les yeux, gentiment mais sûrement.
Notre mission, à vous et moi, est d’éviter une destruction totale de nos deux nations. De nos deux peuples. C’est absolument effrayant. Je n’ai jamais vu une chose pareille de ma vie.
[…]
Au peuple ukrainien, je ne sais que dire. Je ne sais comment racheter nos péchés. Je dirai simplement la chose suivante: si vous en trouvez la force en vous, pardonnez-nous. Si ce n’est pas le cas, nous l’accepterons complètement.
Les personnes qui servent dans l’armée russe sur le territoire ukrainien ne veulent pas être là, je peux vous l’assurer. Beaucoup sont aujourd’hui extrêmement confus. Ils ne veulent pas non plus de guerre! Personne ne veut de cette guerre. Personne ne veut décimer le peuple ukrainien. Cela sonne peut-être complètement fou, mais je vous en supplie, croyez-moi! C’est une maladie. C’est du cannibalisme.
Aidez-nous à arrêter cela. Nous avons un vrai problème désormais: nous ne pouvons plus, à ce stade, arrêter cela à nous seuls. La machine est déjà lancée… Les Russes qui se rendent volontairement à vos soldats, je vous en prie, rassemblez votre volonté et laissez-leur la santé et la vie. Pour quoi faire? Car si vous vous assurez que la majorité d’entre eux meurt, personne ne rentrera à la maison: personne ne pourra raconter ce qui se passe véritablement ici au peuple russe! Cela ne peut se produire que grâce à vous.
Ainsi, vous vaincrez non seulement militairement, mais moralement aussi. C’est très important. Je prie pour votre clémence envers ceux qui avanceront vers vous, désarmés, les bras levés au ciel. Ou ceux qui sont blessés.»