L’ONG allemande de la Welthungerhilfe a fait le compte: 811 millions de personnes dans le monde souffrent de malnutrition chronique. Dans les pays du Sahel, au Soudan, au Tchad, au Liban, au Yémen, en Syrie et en Afghanistan, la situation est dramatique.
Bien que les régions concernées soient réparties sur la moitié du globe, les déclencheurs de la famine sont toujours les mêmes: guerres locales et pertes de récoltes dues au changement climatique. S’ajoute encore la forte augmentation des prix des denrées alimentaires provoquée par la guerre en Ukraine.
Comme toujours, les plus vulnérables sont ceux qui souffrent le plus: les pauvres, les femmes et les plus jeunes sont en première ligne. Au Yémen, 400’000 enfants sont au bord de la famine. Dans la région du Sahel, ils sont trois quarts de million. Selon les estimations de l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, plus de 50 millions d’enfants dans le monde souffrent d’émaciation, la forme de malnutrition la plus fatale.
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L’UE empêche l’exportation rapide de céréales
Selon David Beasley, directeur exécutif du Programme alimentaire mondial de l’ONU, la situation est absolument alarmante. «La famine risque d’atteindre des proportions bibliques», tonne-t-il. La guerre en Ukraine fait rage entre deux pays qui produisent une grande partie des céréales échangées dans le monde. Les exportations ukrainiennes, qui sont normalement expédiées dans le monde entier via la ville portuaire d’Odessa, sont bloquées par les mines et les navires militaires russes. Le transport de céréales à travers les frontières de l’Union européenne (UE) s’avère aussi très compliqué.
Originaire d’Appenzell, Jakob Kern a été coordinateur de l’aide d’urgence du Programme alimentaire mondial en Ukraine pendant trois mois. Il y était depuis le début de la guerre. Pour lui, l’UE et ses règles d’importation très strictes et compliquées rendent impossibles une exportation rapide des céréales ukrainiennes dont le monde a besoin.
La pénurie catastrophique de carburant s’ajoute à ces problèmes administratifs. La plupart des raffineries et des dépôts de pétrole en Ukraine ont été détruits par les troupes de Vladimir Poutine. «À la frontière entre Lviv et Cracovie, j’ai compté plus de 500 camions à l’arrêt. Le temps d’attente est de trois jours», témoigne-t-il, racontant une situation qu’il a vue de ses yeux.
Le blé d’hiver est désormais prêt à être récolté. Pourtant, les récoltes de l’année dernière sont encore stockées dans de nombreux silos. Les réservoirs et tracteurs de nombreux agriculteurs ont été détruits. Beaucoup de champs sont impraticables à cause des mines antipersonnel. Et souvent, on manque de main-d’œuvre. Les ouvriers agricoles ont fui ou sont en train de lutter contre l’envahisseur russe.
Le changement climatique a fait le reste. Les vagues de chaleur en Inde, les sécheresses et les inondations dans la région du Sahel entravent les cultures vivrières. Les denrées alimentaires sont perdues, les sols s’érodent. Les experts estiment que le produit intérieur brut des pays les plus pauvres du monde devrait diminuer d’environ 3% par an à cause des catastrophes liées au climat.
Les pays riches espèrent des prix élevés
L’Australie et le Maroc s’attendent à de mauvaises récoltes. Récemment, le ministère chinois de l’Agriculture a mis en garde contre l’une des «récoltes les plus catastrophiques de l’histoire». Des pluies extrêmement fortes auraient retardé les semis de blé d’hiver en de nombreux endroits. Pékin fait désormais des réserves de nourriture. Selon des informations du gouvernement américain, la Chine a actuellement stocké 69% des réserves mondiales de céréales.
D’autres nations font de même. Mais quelques pays ne se laissent pas uniquement guider par le souci d’assurer l’alimentation de la population. Selon Jakob Kern, certains profitent d’imposer des prix encore plus élevés, au grand dam des plus pauvres.
À cause de ces pénuries, le coût des denrées alimentaires s’envole. Comme l’a annoncé vendredi l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, les prix du blé augmentent en ce moment pour le quatrième mois consécutif. Ils sont désormais 56,2% plus élevés que l’année précédente.
Les conséquences sont terrifiantes. Chaque hausse supplémentaire d’1% des prix alimentaires plonge près de dix millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté.
La nécessité de paquets d’aide internationale
Le Programme alimentaire mondial de l’ONU fait face à des problèmes quasiment insolubles. À cause du renchérissement, par rapport à l’an dernier, l’organisation dépense chaque mois 70 millions de dollars supplémentaires pour la même quantité de nourriture. Les répercussions ne se sont pas attendre: quatre millions de personnes ne recevront pas l’aide dont elles ont urgemment besoin.
Jakob Kern veut que la Suisse réagisse. Le Programme alimentaire mondial a besoin de plus de moyens. Avec une participation financière de 200 millions de francs, il pourrait compenser ces coûts élevés pendant trois mois. Une aide qui serait précieuse.
Le porte-parole d’Unicef Suisse et Liechtenstein, Jürg Keim, estime que les nations riches ont le devoir de respecter les engagements humanitaires déjà pris et de continuer à s’en tenir à l’initiative «Nutrition for Growth» (ndlr, littéralement «La nourriture pour la croissance»). Les fonds de ce programme seraient utilisés là où ils sont le plus nécessaires: pour le traitement des enfants de moins de deux ans souffrant de malnutrition sévère, mais aussi pour les mécanismes de protection sociale tels que les transferts d’argent.
Il est grand temps de mettre en place des paquets d’aide gouvernementaux et internationaux et d’accorder un soutien financier. À chaque minute où l’on ne s’investit pas pleinement dans l’aide, beaucoup de personnes parmi les plus faibles et les plus pauvres meurent de faim quelque part dans le monde.