Il y a cinq ans, lorsque David Beasley est devenu le directeur du Programme alimentaire mondial de l’ONU, 80 millions de personnes dans le monde étaient sur le point de mourir de faim. Depuis, il estime que le nombre a quadruplé.
Les raisons de cette hausse vertigineuse sont multiples: sécheresses et inondations dues au changement climatique, crises et conflits, pandémie de Covid-19… Et, comme si cela ne suffisait pas, il y a désormais une guerre en Ukraine, précisément dans ce pays que l’on surnomme «le grenier de l’Europe», en référence à sa forte production de blé. «Au début, c’était une crise… Maintenant, nous courons vers une catastrophe», résume Gabriela Bucher, directrice de l’organisation humanitaire Oxfam International, pour Blick.
«Des perspectives apocalyptiques»
Gabriela Bucher va jusqu’à évoquer des «perspectives presque apocalyptiques». La Russie bloquant le port d’Odessa, des millions de tonnes de céréales ne peuvent actuellement pas être expédiées de par le monde. Les silos sont pleins: s’ils le restent, la prochaine moisson devra être… brûlée.
Pour autant que les paysans puissent encore cultiver leurs champs en temps de guerre. La pénurie d’engrais menace également de réduire les récoltes dans de nombreux autres pays. Car la Russie, le plus grand producteur de fertilisants au monde, est de fait frappée de sanctions. Le prix des céréales encore disponibles ne cesse d’augmenter.
La crise alimentaire était, même avec la guerre, l’un des thèmes principaux du Forum économique mondial (WEF) de cette année. «Ce sont les pays à faibles revenus et les groupes de population vulnérables qui sont les plus touchés», a souligné la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans son allocution.
Manger les riches?
La guerre menace, à court terme déjà, la sécurité alimentaire dans les parties les plus pauvres du monde. En temps normal, l’Ukraine produit de fait des céréales pour l’équivalant de quelque 400 millions de personnes, soit presque autant que la population totale de l’Union européenne.
Mais, à long terme, c’est surtout le réchauffement climatique qui fait souci. Les rendements diminuent, alors que la population augmente. Selon l’ONU, il faudrait… 50% de nourriture en plus dans le monde d’ici 2050.
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Que faire? Pour soulager la misère, dans un premier temps, il faudrait avant tout de l’argent. Beaucoup d’argent, selon la directrice d’Oxfam. «Et c’est ce qui manque.» L’année dernière, la Suisse n’a par exemple consacré que 0,5% de son produit intérieur brut à l’aide au développement. Pour un pays qui se dit humanitaire, il faut souligner que ça n’atteint pas la part de 0,7% exigée par l’ONU.
Lors du WEF, Gabriela Bucher a notamment demandé que les impôts sur la fortune soient augmentés, afin de compenser quelque peu les extrêmes inégalités mondiales.
Moins de pesticides pour préserver les sols
À long terme, ce sont des investissements stratégiques qui sont nécessaires, a souligné David Beasley, du Programme alimentaire mondial, lors d’une table ronde du WEF. Il serait particulièrement important pour les pays les plus pauvres de devenir moins dépendants des importations, par exemple.
L’agriculture régénératrice est un mot-clé qui revient souvent au WEF, cette année. Il s’agit d’une utilisation plus respectueuse du sol, par exemple en utilisant moins ou pas du tout de pesticides et en ne labourant pas. Les récoltes seraient alors certes plus minces, mais les sols ne deviendraient pas stériles après quelques récoltes seulement, comme c’est le cas avec l’utilisation de produits chimiques et engrais à outrance.
Les pays du G7 se sont en outre récemment mis d’accord pour créer un bouclier contre les risques climatiques, sous lequel les pays en développement pourraient se placer. Les consommateurs sont également sollicités: tout le monde s’accorde à dire que la réduction des déchets alimentaires, et de la consommation de viande, feraient une grande différence.
Plus il y a de faim, plus il y a de migration
Il est grand temps d’agir. Cette nouvelle crise de la faim dans le monde aura des conséquences sur nos vies – même jusqu’en Suisse – bien plus promptement qu’on ne l’imagine.
Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a rappelé que l’insécurité alimentaire était un «catalyseur de l’instabilité sociale, et souvent des conflits armés». David Beasley a aussi fait remarquer que chaque 1% de personnes confrontées à la famine entraîne automatiquement 2% de migration en plus.
(Adaptation par Daniella Gorbunova)