Le président de la République islamique d’Iran est donc mort. Ebrahim Raïssi, 63 ans, avait été élu à la tête du pays le 18 juin 2021. Sa disparition dans un accident d’hélicoptère survenu dimanche dans une province reculée, dans de mauvaises conditions météorologiques, ouvre une crise de succession décisive, en pleine guerre à Gaza, même si le pouvoir est toujours resté dans les mains du Guide suprême de la Révolution islamique Ali Khamenei, âgé de 85 ans.
A lire aussi sur l'Iran
Mais comment ne pas s’interroger sur cet accident aérien fatal qui a aussi coûté la vie au ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian, un peu plus d’un mois après les frappes israéliennes du 1er avril 2024 sur le consulat d’Iran à Damas, qui ont tué deux généraux clés des Gardiens de la révolution, engagés directement dans les opérations militaires du Hamas à Gaza. L’Iran avait ensuite lancé une attaque d’Israël par une flotte de drones. Et si l’appareil qui transportait le président iranien avait été saboté?
Ebrahim Raïssi était évidemment une cible
Jusque-là, les frappes ou les attentats attribués à Israël contre l’Iran ont toujours visé des responsables militaires ou scientifiques du régime, à commencer par ceux engagés dans les opérations à Gaza, en Syrie, ou les experts du complexe nucléaire. La dernière illustration est le bombardement chirurgical du consulat iranien à Damas (Syrie) le 1er avril 2024, qui a coûté la vie à deux généraux de la force Al Qods, la branche armée des Gardiens de la Révolution: Mohammad Reza Zahedi et Mohammad Hadi Haji Rahimi.
Ces deux officiers n’ont pu être localisés, et ciblés par l’aviation israélienne, que grâce à une information obtenue de l’intérieur, au point qu’ils ont été frappés juste après la sortie de la salle de réunion du Consul d’Iran. Ebrahim Raïssi était-il une cible? Oui, même si sa mort reste due officiellement à un accident survenu dans la province d’Azerbaïdjan oriental, dont la capitale est Tabriz. Sa disparition va désorganiser le régime iranien à un moment crucial. Impossible donc de ne pas s’interroger. En arrière-plan se pose aussi, comme toujours, la question de la course iranienne vers l’arme nucléaire…
Ebrahim Raïssi peut-il avoir été trahi?
Encore une fois, la thèse de l’accident d’hélicoptère est pour l’heure avancée, et il sera difficile d’en savoir plus sur les causes exactes du crash, hors investigation officielle iranienne. Laquelle sera bien entendu verrouillée et épurée de toutes les informations sensibles. La réalité de ces derniers mois, en revanche, confirme que le régime des Mollahs, au pouvoir en Iran depuis la révolution islamique de 1979, est infiltré au plus haut niveau.
Comment expliquer autrement la disparition violente de cinq scientifiques nucléaires iraniens entre 2010 et 2020? Comment justifier autrement la frappe israélienne du 1er avril sur le consulat iranien à Damas, ou l’assassinat ciblé, le 3 janvier 2020, du Général Qassim Soleimani par un drone de l’armée américaine sur l’aéroport international de Bagdad? A chaque fois, le scénario a été identique. La frappe hostile a été déclenchée sur la foi de renseignements très précis que seule une source humaine infiltrée peut a priori fournir.
Ebrahim Raïssi peut-il avoir péri dans un accident «provoqué»?
Les accidents aériens non élucidés, sur lesquels plane la menace de services secrets étrangers, ont été nombreux dans l’histoire. Certains crashs ont été le fait de tirs de missiles dont l’origine n’a jamais été formellement identifiée, comme ce fut le cas le 6 avril 1994 pour l’avion qui transportait le président Rwandais Habyarimana, dont la mort a engendré l’un des plus terribles génocides de l’histoire.
D’autres crashs restent inexpliqués, même si la thèse du sabotage l’emporte chez les historiens. On pense à la mort au-dessus du Congo de Dag Hammarskjöld, alors Secrétaire général des Nations unies, aux côtés de 15 autres personnes. On pense aussi à l’explosion en vol de l’avion qui transportait le président pakistanais Mohamed Zia Ul Haq le 17 août 1988. Une part de mystère continue par ailleurs d'entourer le crash de l'avion présidentiel polonais à Smolensk, le 10 avril 2010, qui coût la vie au Chef de l'État de l'époque, Lech Kaczyński. Alors oui, un accident peut être provoqué, par exemple par l’installation lors d’une maintenance de pièces défectueuses, ou par la pose à bord d’une bombe à retardement.
Ebrahim Raïssi était-il vulnérable?
Ce juriste ultra-conservateur connu pour sa sévérité comme procureur de Téhéran à partir de 1985, dont la responsabilité directe est impliquée dans de nombreuses exécutions, était au cœur de l’appareil répressif iranien, et donc un pivot central de la réponse apportée par le régime aux manifestations du mouvement «Femmes, vie, liberté» qui secoue le pays depuis 2022. Il avait été, en 2017, battu par le candidat «modéré» Hassan Rohani, pour le poste de président de la République islamique, élu au suffrage universel. Puis il l’avait emporté en juin 2021.
Il était pressenti pour succéder à l’Ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême qui dirige en réalité le pays. Des luttes intestines déchirent traditionnellement le régime des Mollahs. Il faut dire aussi que la maintenance des appareils iraniens, hélicoptères et avions, est lourdement affectée par les sanctions occidentales contre le pays, lancé dans sa course à l’arme nucléaire. Si l’accident s’avère réel, sans cause extérieure, le pouvoir religieux iranien ne s’en retrouvera pas moins confronté à une crise majeure.
Ebrahim Raïssi volait-il sur un hélicoptère mal entretenu?
L’hélicoptère Bell 212 qui transportait le président iranien entre Téhéran et la province de l’Azerbaïdjan oriental est un appareil américain dont le premier vol remonte à la fin des années 60. Sa silhouette est bien connue de tous les films sur la guerre du Vietnam, et c’est avec ce type d’engins que les États-Unis évacuèrent, le 30 avril 1975, leur ambassade assiégée de Saïgon.
En clair: les pièces indispensables à la maintenance de cet appareil sont fabriquées pour la plupart à l’étranger, et celles usinées en Iran peuvent présenter des insuffisances. Le Bell 212 présidentiel faisait partie d’une flotte de trois hélicoptères, tous anciens. L’Iran est soumis à des sanctions aéronautiques depuis plus de 40 ans. Un intermède durant lequel les importations iraniennes de pièces de rechange (dont la vente était interdite depuis 2011) ont eu lieu entre 2016 et 2018, avant d’être à nouveau interrompues.