Genre et agression
Sans les hommes, n'y aurait-il pas de guerre?

Les hommes font la guerre pendant que les femmes et les enfants souffrent. Un schéma vieux comme le monde qui se répète en Ukraine. Pourquoi cela? La raison réside-t-elle dans la nature de l'homme? Ou la question est-elle plus compliquée? Des expertes l'expliquent.
Publié: 20.03.2022 à 19:06 heures
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Dernière mise à jour: 20.03.2022 à 19:07 heures
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Selon Meryl Streep, si les femmes étaient aussi puissantes que les hommes, il y aurait moins de guerres.
Photo: Samir Hussein/WireImage
Silvia Tschui

«Je pense que si les femmes dirigeaient le monde, il y aurait de plus grands efforts de paix. Tout simplement parce qu’en tant que femmes, nous ne voulons pas voir nos enfants assassinés. Je suis peut-être complètement idéaliste, mais je pense que nous resterons maudits jusqu’à ce que les femmes aient des positions de pouvoir égales.» C’est ce qu’a tweeté il y a quelques jours l’actrice Meryl Streep.

Et en effet, ce sont une fois de plus de vieux hommes blancs, ou des hommes tout court, qui commandent la dernière guerre en Ukraine. Ce sont des hommes qui se battent, qui tuent et qui violent. Et ce ne sont pas seulement des hommes, mais aussi des femmes et des enfants qui en souffrent. La question s’impose donc d’elle-même: les hommes sont-ils responsables de la guerre? Et sans les hommes, n’y aurait-il pas de guerre?

Différents experts défendent en fait les mêmes points de vue sur cette question qui n’est naïve qu’en apparence. Si elle n’est que superficiellement naïve, c’est parce que d’autres questions se posent immédiatement: est-ce la biologie des hommes qui les pousse à se battre et à être violents, parce que, contrairement aux femmes, ils ont plus de testostérone et sont donc naturellement plus agressifs? Ou bien l’agressivité est-elle socialement inculquée aux hommes? Oui, répond clairement Leandra Bias à la dernière question – et non à la question de savoir si la biologie est simplement «coupable» de l’agressivité masculine.

La politologue et chercheuse en matière de genre, qui vient d’obtenir son doctorat à l’Université d’Oxford, est spécialisée dans l’histoire et la politique récentes de la Russie et de la Serbie, elle effectue des prospections à ce sujet à l’Institut de recherche sur la paix swisspeace de l’Université de Bâle. Leandra Bias est claire: c’est la faute du système patriarcal. «Dès l’enfance, on nous impose des rôles. Les agressions des garçons sont excusées par le fait qu’il s’agit de garçons, alors qu’on apprend aux filles à ne pas montrer d’agressivité et à être douces.» Plus tard dans la vie, il faut beaucoup de réflexion sur soi-même et de force pour prendre conscience de ces rôles et pouvoir s’en échapper. Cela n’a rien à voir avec la testostérone. La référence à la biologie est plutôt une excuse bon marché pour ne rien avoir à changer.

Ce n’est pas le sexe qui est responsable des abus de pouvoir, mais la concentration du pouvoir

«Notre société voit tout à travers le prisme des rôles sexuels, c’est-à-dire: les femmes sont gentilles, dévouées et attentionnées, les hommes sont forts, indépendants et parfois aussi agressifs. C’est pourquoi nous ne voulons pas admettre que les femmes peuvent être aussi cruelles et brutales que les hommes», explique Leandra Bias. Nous devrions alors constater que nos rôles de genre ne sont pas adaptés à la réalité, et changer les choses. Les femmes criminelles de guerre sont donc beaucoup moins souvent poursuivies en justice que les criminels de guerre. Elle cite comme «preuve» de la cruauté féminine les crimes et les meurtres d’enfants commis par des religieuses catholiques. En Irlande et plus récemment au Canada, des fosses communes d’enfants anonymes confiés à la garde de religieuses ont été découvertes. Des femmes ont également participé à l’Holocauste.

Kristina Lunz abonde dans le même sens. Cette politologue formée à l’université d’Oxford et ancienne conseillère du ministère allemand des Affaires étrangères a lancé d’innombrables campagnes, s’est retrouvée en 2019 sur la liste des «moins de 30 ans» du magazine économique «Forbes» et est l’autrice du livre «L’avenir de la politique étrangère est féministe». Elle explique: «Ce n’est pas le sexe, mais la concentration de pouvoir de certaines personnes qui favorise les abus de pouvoir. Lorsque nous naissons, nous avons tous le même potentiel de violence. Nous vivons simplement depuis six à huit mille ans dans le patriarcat, qui donne aux hommes le pouvoir sur les femmes et accepte la violence masculine envers les femmes.» Les conséquences sont révoltantes, comme le dit Kristina Lunz: «Chaque jour en Allemagne, un homme tente de tuer sa partenaire ou son ex-partenaire. Il y parvient tous les trois jours.» En Suisse aussi, une femme meurt toutes les deux semaines et demie des suites de la violence masculine. «Et globalement, dit Kristina Lunz, plusieurs études le prouvent, le plus grand risque pour la santé des femmes est la violence masculine.»

Attiser la haine des femmes fait partie du système

La question reste de savoir comment on peut amener de jeunes hommes, comme les soldats russes et biélorusses actuellement, à tuer d’autres personnes, à commettre des atrocités et – ce que certains rapports non confirmés à ce jour en Ukraine laissent entendre – à violer des femmes. Un petit détour par la sociologie et la psychanalyse permet d’y voir plus clair. Ainsi, le professeur allemand de sociologie et de psychologie sociale, Rolf Pohl, explique dans une interview à la Fondation Heinrich Böll: «Les hommes hétérosexuels désirent les femmes, mais ils détestent en même temps leur désir, car ils se sentent dépendants des femmes, de leur corps et de leur sexualité. De là à haïr les femmes, il n’y a qu’un pas.» Pour simplifier, on peut dire que parce que la société dit aux garçons, dès leur plus jeune âge, qu’ils doivent être forts et ne pas montrer de faiblesse, ils doivent mépriser la faiblesse – et donc aussi les qualités que l’on inculque aux filles, à savoir être gentilles, souples et serviables. À l’âge de la puberté – et parfois avant – les femmes sont donc à la fois désirées par les hommes hétérosexuels et, parce qu’elles sont perçues comme plus faibles, méprisées.

Ce mépris peut alors être instrumentalisé de manière ciblée: «Cela fait malheureusement partie du système d’attiser la haine des femmes et d’amener ainsi les jeunes hommes à exercer la violence, cela suit toujours le même script», explique Leandra Bias. «En fait, on poursuit de manière ciblée dans les académies militaires ce qui se passe déjà dans les cours d’école: si l’on ne fait pas preuve de fermeté, on est raillé, et ce avec des attributs et des termes injurieux attribués à la féminité ou à l’homosexualité.» En même temps, «l’ennemi» est dévalorisé en lui attribuant les mêmes caractéristiques supposées «typiquement féminines», c’est-à-dire d’être faible ou homosexuel. Un «ennemi» est ainsi déshumanisé, présenté comme faible, dégénéré, et donc haïssable.

La deuxième étape consiste, selon ce biais, à présenter une agression imaginaire de cet ennemi, afin d’attiser la haine de manière ciblée. La guerre et la violence masculine à l’encontre des femmes et des enfants ne seraient donc en fait qu’une exacerbation de la discrimination au quotidien.

Plus une société est égalitaire, plus elle est riche et prospère

«D’un point de vue économique, il est prouvé que les sociétés qui ont un indice d’égalité élevé sont économiquement plus prospères, donc plus riches», explique Kristina Lunz. Comme le montre la recherche de la professeure américaine de sciences politiques Valerie Hudson, elles s’empêtrent aussi nettement moins dans des conflits de politique étrangère. Mais réduire systématiquement à néant les efforts d’égalité, comme cela a été le cas en Russie ces dernières années, ne sert qu’à quelques-uns. Poutine fait ainsi d’une pierre plusieurs coups, estime Leandra Bias: «D’une part, une telle politique conservatrice assure aux hommes des privilèges. C’est notamment auprès des hommes plus âgés ou moins éduqués que l’on peut trouver un électorat fidèle». En même temps, il attribue à «l’Occident» les mêmes caractéristiques à connotation féminine, c’est-à-dire d’être décadent, faible et dégénéré, afin de construire une image de l’ennemi – ce qui peut à son tour être utilisé pour radicaliser les jeunes hommes. Cela permet également de justifier l’agression en politique intérieure et extérieure afin de renforcer son propre régime. Car cela permet de légitimer la violence contre les féministes dans le pays d’abord, et contre l’Ukraine en tant que «marionnette de l’Occident perverti» ensuite. A long terme, comme on peut le constater dans le triste contexte actuel, une telle politique nuit à tout le monde.

Kristina Lunz estime qu’il est urgent d’agir en matière d’égalité: «Ce n’est que lorsque les rapports de force seront équilibrés et qu’il y aura autant de femmes que d’hommes actifs en politique étrangère que nous pourrons vivre dans une société plus pacifique. L’égalité est la tâche la plus importante du féminisme.» En ce sens, Meryl Streep a donc tout à fait raison.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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