Depuis l'ouverture du procès, l'AFP et d'autres médias avaient choisi de ne pas donner ce nom de Pelicot, pour protéger la vie privée des trois enfants et six petits-enfants du couple. Mais ceux-ci ont fait savoir jeudi, via leurs avocats, qu'ils souhaitaient désormais que leur patronyme soit connu car il est devenu «celui du courage incarné» par leur mère et grand-mère.
Du courage, il en a sans doute fallu à Gisèle Pelicot jeudi, pour sa première prise de parole devant la cour criminelle de Vaucluse, au quatrième jour de ce procès hors norme. Le 2 novembre 2020, les policiers de Carpentras (Vaucluse) la font venir au commissariat. Oui, elle est bien mariée à Dominique Pelicot, «un chic type», «un super mec», répond-elle, intriguée, à l'enquêteur.
Celui-ci lui montre alors des photos retrouvées dans l'ordinateur de son mari. Sur l'image, «je suis inerte, dans mon lit, et on est en train de me violer», décrit-elle, devant la cour, composée de cinq magistrats professionnels. «Mon monde s'écroule, tout s'effondre, tout ce que j'ai construit en 50 ans. C'est des scènes d'horreur pour moi. (...) Ils me considèrent comme une poupée de chiffon», insiste la mère de famille, sous le regard de sa fille et de ses deux fils.
4000 vidéos stockées par son mari
Ce jour-là, elle refuse de regarder les vidéos. Elle ne le fera qu'en mai 2024, à l'approche du procès, sur les conseils de son avocat. «Elles sont plus atroces les unes que les autres», lâche-t-elle. «Des scènes de barbarie, des viols, (...) j'ai été sacrifiée sur l'autel du vice». Au total, les enquêteurs retrouvent près de 4000 photos et vidéos, méticuleusement stockées et légendées par son mari. Les images de quelque 200 viols subis en dix ans, d'abord en région parisienne, mais surtout à Mazan, commune du Vaucluse de 6.000 habitants où le couple avait déménagé début 2013.
Et, le plus souvent, ces hommes ne portaient pas de préservatifs. «Par une chance assez extraordinaire, étant donné le nombre d'agresseurs, elle a échappé au VIH, à la syphilis, aux hépatites. Quel soulagement», a témoigné jeudi Anne Martinat Sainte-Beuve, experte médicale, soulignant que Gisèle Pelicot a quand même «contracté quatre MST».
«Et qu'on ne me parle pas de scènes de sexe, ce sont des scènes de viols, je n'ai jamais pratiqué le triolisme ni l'échangisme», s'est fermement défendue la victime, répondant indirectement aux avocats de certains accusés, qui maintiennent avoir seulement participé au scénario d'un couple libertin. «Je n'ai jamais été complice» ni «fait semblant de dormir», répond-elle ensuite fermement au président de la cour, Roger Arata.
Droguée aux anxiolytiques
«On peut tout imaginer, mais dans ce cas, il faudrait que l'actrice soit particulièrement douée», a estimé dans l'après-midi Yvan Gaillard, expert toxicologique. Pas question pour Gisèle Pelicot en tout cas de dédouaner les 50 coaccusés de son mari: «Ayez au moins une fois dans votre vie la responsabilité de vos faits», leur assène-t-elle, alors qu'elle parle depuis une heure déjà, s'interrompant seulement pour boire un verre d'eau.
«Ces individus savaient très bien dans quel état de léthargie j'étais», insinuer le contraire, «c'est une insulte à l'intelligence», accuse-t-elle, soulignant qu'aucun n'a tenté d'alerter la police: «Même un coup de fil anonyme aurait pu me sauver la vie». Puis Gisèle Pelicot aborde la question des anxiolytiques que lui faisait avaler son mari, à son insu, pour ensuite la livrer aux hommes qu'il avait appâtés.
«Aujourd'hui je reprends le contrôle de ma vie, pour dénoncer ce qu'est la soumission chimique. Beaucoup de femmes n'ont pas les preuves. Moi j'ai les preuves de ce que j'ai vécu», assène la septuagénaire. «C'est pour ça que j'ai voulu que ce procès soit public, c'est pour ça que j'ai levé le huis clos» demandé par l'accusation lundi, rappelle, droite, la voix ferme, cette femme qui pendant des années s'était «convaincue» que ses «absences» inexpliquées étaient dues à la maladie d'Alzheimer.
«J'ai perdu 10 ans de ma vie»
Dans le box des détenus, son mari, veste grise sur tee-shirt orange fluo, reste tête baissée. Il avait été interpellé en 2020, après avoir filmé sous les jupes de trois femmes dans un centre commercial de Carpentras, ce qui a permis la découverte de l'affaire. Dix ans plus tôt, en 2010, il avait été arrêté pour des faits similaires en région parisienne et condamné à une amende de 100 euros. Son épouse n'avait jamais été mise au courant.
«Il y a eu non assistance à personne en danger J'ai perdu dix ans de ma vie», a-t-elle accusé. Et certes, «la façade est solide», comme elle l'a reconnu jeudi, «mais l'intérieur, c'est un champ de ruines».