Le système français de retraite par répartition (les actifs paient pour les anciens) est presque à bout de souffle. Presque. Selon la Cour des comptes, l’institution supposée contrôler les finances publiques de la République, les «perspectives» sont «préoccupantes», mais le déficit anticipé n’est pas si abyssal que ça. Tel est le verdict de son rapport rendu ce jeudi 20 février au Premier ministre François Bayrou. On se souvient qu’en 2022, la réforme des retraites avait mis des millions de manifestants dans la rue, pour refuser le report à 64 ans de l’âge légal de départ au lieu de 62. La réforme avait finalement été adoptée. Elle est entrée en vigueur le 1er septembre 2023. Elle reste contestée depuis lors, tant par la gauche que par le Rassemblement national (droite nationale populiste).
Les chiffres maintenant. Pour justifier de ne pas revenir sur la réforme de 2022-2023, François Bayrou avait d’abord lancé un pavé dans la mare. Selon lui, un ajournement de ce report à 64 ans risquait d'engendrer un déficit à hauteur de 55 milliards d'euros par an sur le déficit des finances publiques en 2035! Brandie dans son discours de politique générale en janvier, cette somme astronomique et très politique n’a toutefois pas empêché le leader centriste, obligé de rallier les socialistes pour qu’ils ne votent pas la motion de censure, de relancer simultanément l’idée d’une nouvelle négociation sociale sur les retraites. Elle démarrera le 27 février. Avec deux conditions: 1) Une durée de trois mois maximale pour ces pourparlers baptisés «conclave». 2) L’obligation pour les parties en présence d’accoucher d’un scénario financièrement similaire aux projections actuelles calculées sur la base du report à 64 ans.
Rapport «flash»
C’est là que le rapport «flash» de la Cour des comptes intervient. Car il est supposé dire la vérité financière sur la faillite, ou non, d’un système miné par la baisse de la natalité, la baisse du nombre des actifs et l’augmentation programmée du nombre des retraités, ainsi que la durée de leurs pensions. Or surprise, ses chiffres sont moins dramatiques qu’anticipés. Point 1: la Cour, présidée par l’ancien ministre socialiste des Finances Pierre Moscovici, constate «un léger excédent» du système en 2023, de 8,5 milliards d’euros. Point 2: les 55 milliards d’euros de déficit programmé, que l’Etat devrait assurer en cas de non-réforme, n’existent pas.
La Cour table sur un déficit total, tous régimes confondus, de 15 milliards d’euros en 2035 et de 30 milliards en 2045. «Une dégradation nette, rapide et croissante.» Mais dans un pays habitué à dépenser trop comme la France, la différence est de taille: l’annulation du report de l’âge de départ à 64 et le retour à 62 ans impliquerait seulement de trouver 10 milliards d’euros supplémentaires. Presque rien au regard des 3 300 milliards d’euros de dette publique. Fixer à 63 au lieu de 64 ans l’âge légal de départ coûterait 5,8 milliards d’euros, alors que le porter à 65 ans permettrait d’économiser jusqu’à 8,4 milliards d’ici 2035. La Cour des comptes met aussi en garde contre le labyrinthe comptable provoqué par la multiplicité des régimes sociaux en France.
Faillite ou pas?
Alors, pas de faillite généralisée à l’horizon? Pas de naufrage du système par répartition si différent de celui de la Suisse où chacun se constitue la plus large part de sa pension par capitalisation? La question est maintenant de savoir si ces nouveaux chiffres vont relancer le débat social, et pousser les syndicats à exiger une remise à plat complète des retraites, alors que le patronat freine des quatre fers. 62% des Français, selon un sondage de BFM cette semaine, voudraient revenir aux 62 ans (contre 31% qui acceptent les 64 ans). Le fait que tous les pays européens, dont la Suisse, partent en retraite plus tard n’est pas pris en compte. Un report supplémentaire à 65 ans, qui mettrait la France à l'unisson de tous ses voisins, semble hors d'atteinte. Le futur conclave, qui sera suivi d’un débat au Parlement, pourrait-il au contraire déboucher sur un grand retour en arrière? C'est désormais le risque.
Le chroniqueur économique François Lenglet, auteur de «Combien de temps ça va durer?» (Ed. Plon), pronostique pour sa part un autre scénario: le retour en force des régimes spéciaux de retraite – que la réforme de 2023 éliminait en partie – pour satisfaire les différentes catégories professionnelles.
L’épargne des fonctionnaires
Et l'épargne-retraite privée ? La suprême ironie est qu’en France, ceux qui font le plus souvent la grève, à savoir les fonctionnaires (le service public emploie, sous différents statuts, environ six millions de personnes, soit 1/5e de la population active), bénéficient eux d’un régime par capitalisation obligatoire depuis 2005. «Quelque 4,5 millions de fonctionnaires cotisent à hauteur de 5% de leurs primes, l’employeur versant lui aussi 5% du montant raconte le quotidien conservateur Le Figaro. Les cotisations – qui ont représenté 2,15 milliards d’euros en 2023 – sont transformées en points et donnent ensuite un montant de prestation versée à l’agent soit sous forme de rente, soit sous forme de capital.»
Et si la solution était là, dans l’ouverture d’un second pilier (privé) à la Suisse, pour les retraités français qui, en contrepartie de pensions augmentées, accepteraient – peut-être – de travailler plus longtemps?