Il peut suffire de trente minutes pour réchauffer les relations entre deux voisins fâchés malgré leur paix perpétuelle depuis 1516. Surtout si cette demi-heure d’échanges a lieu avec Emmanuel Macron, ce président français dont l’entourage d’Ignazio Cassis louait, vendredi 11 novembre, la «rapidité» et la maîtrise des dossiers qui compliquent depuis quelque temps les relations entre les deux pays.
Trente minutes donc, en marge du sommet de Paris sur la paix. Et voilà que le président de la Confédération revient avec une belle promesse: celle d’une possible visite du Chef de l’État français en Suisse en 2023. Avec une très probable escale au CERN, le Centre européen d’études et de recherche sur le nucléaire basé à proximité de Genève.
Les motifs de crispation demeurent
Les motifs de crispations entre Berne et Paris? Ils demeurent. L’abandon du projet d’accord-cadre avec l’Union européenne (UE) et l’achat des avions F-35 Américains restent toujours en travers de la gorge des Français. «J’ai clairement dit à Emmanuel Macron que le moment est venu de revitaliser nos relations. Il faut laisser les contentieux derrière nous», a gaillardement expliqué Ignazio Cassis à la presse, lors d’un échange un tantinet surréaliste.
Coincé par les horaires, entre sa présence au Forum de Paris sur la paix et un dîner à l’Élysée, le chef du département des Affaires étrangères a reçu les journalistes dehors à Paris, au pied de l’ancienne Bourse de commerce, transformée en musée d’art moderne par le milliardaire François Pinault.
Un reset? Un redémarrage? Un dégel? «Nous avons tous deux la conviction que cette situation ne profite ni à la France, ni à la Suisse», a poursuivi Ignazio Cassis, en énumérant les sujets évoqués avec le locataire de l’Élysée: questions énergétiques, partage des eaux du Rhône, fiscalité des frontaliers français en télétravail, coopération franco-suisse au Conseil de sécurité de l’ONU dont la Confédération sera membre de plein droit à partir du 1er janvier ou encore participation de la Suisse à la Communauté politique européenne. Cette dernière tiendra sa seconde réunion en Moldavie en avril.
Mais gare: un fossé n’est pas encore franchi. Il concerne l’UE avec laquelle la négociatrice helvétique Livia Leu a tenu ce vendredi une sixième session de pourparlers «exploratoires» à Bruxelles, sans rien ramener de concret. «Je n’emploierai pas le mot gel à propos des relations franco-suisses, corrige pudiquement Ignazio Cassis. C’est trop fort.» Disons que depuis des mois, Paris et Berne ne se parlaient plus qu’au niveau des diplomates. Cette fois, le dialogue a repris au plus haut niveau.
2023 et une visite d’État?
Pièce maîtresse de cette rencontre: une possible venue du président Macron en Suisse, peut-être pour une visite d’État. Et si possible en 2023, cinquante ans après celle de François Mitterrand en 1983. L’intéressé a au moins confirmé ce vendredi son «vif intérêt».
La Confédération est dans le viseur de l’Élysée. Bingo pour le protocole! Mais à la condition de dénouer auparavant quelques sujets encore épineux. L’un d’entre eux, lié à l’impasse actuelle des relations entre la Suisse et l’UE, est le dossier de l’énergie. La Suisse n’est pas membre du marché européen de l’électricité, mais le transit sur son réseau est indispensable aux flux électriques entre l’Italie, l’Allemagne et la France. L’énergie est aussi l’objet des travaux du CERN, dont les travaux d’extension nécessitent l’accord de communes de France voisine.
Ignazio Cassis, qui avait convié le Conseil fédéral au CERN en juin dernier, a mis ce dossier sur le dessus de la pile. À la centralisation française, maintenant, de produire des résultats: «Le président Macron a dit qu’il s’en occupera. L’intérêt de la recherche européenne est que des solutions soient rapidement trouvées», a complété le président de la Confédération.
Macron, le président des solutions
Emmanuel Macron, ou la solution à tous les maux. Même la centrale de pompage et turbinage de Nant de Drance, en Valais, qui permet de stocker l’électricité ensuite exportée, a été évoquée lors de l’entretien! Le président français a aussi passé en revue le dossier complexe de la fiscalité des frontaliers en télétravail. «La solution sera de trouver un compromis autour d’un seuil acceptable. Un jour de télétravail ne change pas le statut fiscal. Deux ou trois jours, ça peut se discuter…», reconnaissait vendredi un participant à la réunion.
La question est cruciale pour les communes de France voisine, surtout celles proches du canton de Genève qui reçoivent déjà 300 millions d’euros par an de «ristourne» de la part du fisc suisse.
Macron en Suisse en 2023, pour quoi faire? Pour le moment, certainement pas pour une conférence diplomatique sur l’Ukraine. Celle-ci paraît encore irréaliste et hors d’atteinte pour Ignazio Cassis. Genève et sa tradition de médiation restent hors du radar. «Il y a deux ou trois semaines, explique-t-il à Blick, je vous aurais dit que la diplomatie n’avait toujours pas sa place entre l’Ukraine et la Russie. Aujourd’hui, les choses ont bougé. Nous ne cessons de répéter que nous sommes à disposition. Car ce conflit, de toute façon, s’achèvera par des négociations.»
Conférence sur l'Ukraine à Paris à la mi-décembre
Ce samedi 12 novembre, le Conseiller fédéral tessinois participera à un panel du Forum de Paris sur la paix. L’Ukraine sera en revanche bien présente à Paris les 12 et 13 décembre, pour une nouvelle conférence centrée sur sa reconstruction. La Suisse sera représentée.
Ignazio Cassis, lui, restera cette fois à Berne, renouvellement du Conseil fédéral oblige. À notre connaissance, Emmanuel Macron ne s’est pour l’instant pas porté candidat.